Pour Soulages, il est encore temps d'aller au Louvre
Il vous reste quelques semaines pour aller découvrir/retrouver la puissance du noir et la geste de Soulages au Louvre. Le sémillant centenaire y expose œuvres majeures, points de repère et nouveautés. Si, en France l’abstraction porte toujours un nom, c’est le sien … Go !
Le musée du Louvre invite Pierre Soulages pour la première fois à une exposition personnelle. Cependant, il y a déjà exposé à deux reprises. En 1990, l’exposition Polyptyques. Le tableau multiple du Moyen-Age au XXe siècle, (hall Napoléon), où Michel Laclotte établissait la lignée des créations depuis les polyptyques médiévaux jusqu’à Bacon et où Soulages présentait deux peintures dos à dos.
En 2009 Peinture, 300X236 cm, 9 juillet 2000 est présentée dans le Salon Carré du Louvre, en lien avec l’exposition du Centre Pompidou (du 14 octobre 2009 au 8 mars 2010). Par ailleurs, Pierre Soulages avait participé à la nouvelle muséographie des salles de Peintures françaises du XIXe siècle en choisissant en juin 1969 la couleur des murs : un rouge profond que le public peut toujours voir aujourd’hui.
Dès ses débuts, Soulages a opté pour une abstraction totale, mettant en question les données traditionnelles de la peinture. Par les matériaux qu’il emploie (brou de noix, goudron…), par ses outils qui renvoient plutôt à ceux des peintres en bâtiment, par son choix d’identifier ses toiles par la technique, les dimensions et la date de réalisation, plutôt que d’orienter la vision par un titre, il adopte une position singulière. Il écrit dès 1948 : « Une peinture est un tout organisé, un ensemble de formes (lignes, surfaces colorées…) sur lequel viennent se faire et se défaire les sens qu’on lui prête ».
L’exposition témoigne de la continuité de l’oeuvre, mais aussi de ses différents moments liés par la volonté de faire surgir la lumière par contraste entre la couleur noire et les parties claires, par superposition et raclage, ou encore par le mode d’application d’un pigment unique. C’est en 1979 que Soulages, peintre depuis plus de trente ans, aborde une nouvelle phase de son travail, une peinture autre pour laquelle il propose le néologisme d’outrenoir. L’aventure picturale de Soulages expérimente constamment le rapport entre le noir et la lumière, mais avec l’outrenoir qui instrumentalise le reflet, l’espace et le temps de la peinture sont radicalement transformés, la dotant d’une multiplicité lumineuse totalement inédite. Au contraire d’une oeuvre monochrome, « ce sont des différences de textures, lisses, fibreuses, calmes, tendues ou agitées qui, captant ou refusant la lumière, font naître les noirs gris ou les noirs profonds ».
Pierre Soulages est né à Rodez le 24 décembre 1919. Après des études à l’école des beaux-arts de Montpellier et une activité de viticulteur pendant l’occupation pour échapper au STO, il s’installe à Paris et commence son oeuvre abstrait dès 1946. Sa première exposition personnelle a lieu à Paris en 1949 à la galerie Lydia Conti suivie d’une première exposition à New York chez Samuel Kootz en 1954. Ses peintures, souvent de grand format, ainsi que son oeuvre abondante de graveur sont largement diffusées à partir des années cinquante, tout spécialement en Europe et aux Etats-Unis où il va exposer très régulièrement. Les premières expositions dans les musées vont suivre, d’abord en Allemagne (Hanovre) et aux Etats-Unis (Houston) puis à Paris au Musée national d’art moderne en 1967. En 1979, il aborde une nouvelle phase de son travail avec une peinture autre qu’il intitule « outrenoir » révélée par une exposition au Centre Pompidou. Les expositions se multiplient dans le monde entier, y compris en Asie et en Russie. Il réalise un ensemble de vitraux pour l’abbatiale de Conques terminé en 1994, année où parait le premier volume du catalogue raisonné rédigé par Pierre Encrevé, qui sera suivi par trois autres. En 2009, le Centre Pompidou présente une grande rétrospective à l’occasion de son quatre-vingt-dixième anniversaire. Le musée Fabre à Montpellier accueille depuis 2007 une présentation permanente de ses peintures tandis qu’un musée Soulages a été inauguré à Rodez en 2014. Pierre Soulages vit et travaille à Paris et à Sète. Déjà immortel par son travail, on lui souhaite de ne jamais s’arrêter…
Il y a un effet Soulages (vérifié hier soir à Beaubourg) qui le distingue de son époque et des monochromes de Klein ou des explosions colorées de de Stael, sa rigueur technique qui, une fois passée au-delà de ce qu’elle présente, vous emmène à tous coups dans un incertain manifeste, une présence. Allez donc vérifier sur pièces, ça tient du tangible…
Jean-Pierre Simard (avec le d.p. du Louvre) le 18/02/2020
Pierre Soulages au Louvre -> 9/03/2020
Louvre, rue de Rivoli 75001 Paris
Catalogue de l’exposition :
Soulages au Louvre, sous la direction d’Alfred Pacquement.
Coédition musée du Louvre éditions / Gallimard éditions,
176 pages, 80 illustrations, 35 €.