Rencontre avec Guillaume Sorge, organisateur du Red Bull Paris Festival

Le côté défricheur du Red Bull Festival ne passe pas inaperçu, offrant une palette de talents qui ne s’appuie pas uniquement sur des têtes d’affiche pour exister et mettre en lumière des lieux moins usités que les autres événements du même métal. Guillaume Sorge, nous en dit plus sur sa faisabilité. Mais pas que… 

Système Son dimanche 29/9 au 104

A travailler avec des lieux pas encore reconnus et acceptés par la Préfecture, cela réserve des surprises. Ainsi, le Dehors Brut, club de musiques électroniques s’est vu notifier par la Préfecture de police, fin août dernier, un arrêté de fermeture administrative de 30 jours à la suite d’un overdose d’extasy par un clubber. Alors que des contrefaçons chinoises surdosées de toutes les drogues en vogue atteignent Paris et font des ravages auprès des consommateurs, plutôt que de faire de la prévention, monsieur Lallemand préfère fermer plutôt que de prévenir. La Mairie de Paris et le collectif Action Nuit hurlent à la crétinerie ambiante, quand le lieu possédait bien des secouristes présents lors de ses soirées et accueillait des actions de prévention pour lutter contre l'usage de stupéfiants rappellent-ils. Ils déclaraient au micro de RTL, à cette occasion : “De façon générale, ces fermetures n'ont et ne régleront jamais le fond du problème", estimaient-ils, en appelant les pouvoirs publics à lancer "une campagne d'ampleur en direction des centaines de milliers de jeunes et d'usagers des établissements festifs". Frédéric Hocquard, adjoint à la vie nocturne à la Mairie ajoutait . "Un jeune homme est mort et c'est très grave". "Mais le préfet se trompe et prend le problème à l'envers : sanctionner un club qui fait beaucoup de choses dans le domaine de la prévention, c'est un mauvais message", estime-t-il, en rappelant que l'endroit "doit être un des seuls clubs en France à avoir une antenne de la protection civile sur place". La France en Marche aurait peur des gens qui font la fête, sans penser à voter pour eux ? Une pétition tourne qu’on trouve ici ( et qu’on signe , s’il vous plaît) Paris, la vie, le nuit en voie de gérontophilie avancée ? La question reste ouverte, d’autant que Dehors Brut était un des lieux du Festival Red Bull de cette année qu’il a fallu remplacer dans l’urgence.

Combien de temps passes-tu à préparer l’événement et comment cela se passe-t-il ?

Entre les premières idées et le festival en tant que tel, il s’écoute environ un an, quelques milliers de mails et des dizaines de réunions (environ !).

Comment procèdes-tu au niveau artistique, es-tu dépendant de la programmation des autres événements Red Bull Music ou pas obligatoirement ?

Je ne suis ni dépendant des autres festivals ni des autres événements de la marque. Nous travaillons en autonomie avec un souci de cohérence sur l’année, en étant collaboratifs : L’idée de la soirée audiophile vient par exemple d’un article publié par notre équipe de com sur un passionné des enceintes Klipsch... L’article est paru, on a rencontré la personne en question chez lui dans les hauts de France… L’idée de la soirée est née autour d’une tartine de maroilles.

 Comment as-tu construit cet événement autour de certains lieux et certaines musiques ? D’abord en fonction des lieux, ou bien en fonction de la possibilité de jouer certaines musiques dans certains lieux ?

J’aimerai te répondre oui – j’adorerai créer un événement en partant d’un lieu – mais ce n’est pas le cas : on réfléchit au concept de la soirée, à la mécanique artistique puis au meilleur endroit pour présenter le projet.

 C’est la Paris Electronic Week, le Festival en est-il partie prenante (concertation ou pas ?)

Non, même si nous soutenons leur démarche. La RBMA a effectué ce travail de défrichage de cette culture depuis vingt ans en proposant des masterclass, workshops etc.. Peut-être est-ce le moment de passer à quelque chose de moins limitatif ? d’appréhender la culture populaire sous toutes ses formes et pas seulement sous le prisme de l’électronique ?

 Tu ne te contentes pas d’aligner des stars, mais tu construis de vrais événements. La formule habituelle des festivals te sort par les trous de nez, c’est ça ? Développes

Pas du tout ! J’adore les festivals et il y a plein d’événements que je surveille de près pour ne pas faire la même chose ou m’en inspirer : Le Guess Who, Kilbi, Nyege Nyege, Unsound, CTM, etc. Effectivement on évite de faire des line up qui alignent simplement des « noms ».. D’autres festivals le font très bien, quel intérêt ? On essaie de faire les choses différemment : en créant nos propres projets, en racontant nos propres histoires, en se servant de notre studio de la Gaité Lyrique comme un laboratoire. Exemple : Nous avons invité Wondagurl, une jeune productrice de rap de Toronto encore inconnue en France. Elle est venue 10 jours à Paris enregistrer une mixtape avec des rappeurs français que nous lui avons présentés. Nous avons sorti la mixtape sur les plateformes de streaming et produit le show à la Machine. Le concert était archi complet et la mixtape totalise plusieurs centaines de milliers de streams après une semaine … Ce genre de projets est plus long, plus compliqué à mettre en place mais beaucoup plus excitant qu’un énième line up avec les têtes d’affiches du moment. Voilà ce qu’on fait et ce qui nous différencie des autres festivals.

Quelle est ta conception d’un festival et es-tu satisfait de la formule actuelle ou la vois-tu perfectible ?

Pour être franc, cette notion de festival m’importe peu. Nous sommes plus une agrégation de projets spéciaux qui ont pour point commun de s’adresser à un public large mais pointu. Le fait que le public ou les médias aient du mal à nous mettre dans une case, que les lieux et les formats changent tout le temps c’est notre force et notre faiblesse. Ma tâche consiste à élaborer des projets musicaux pour Red Bull Music, on pourrait créer le même nombre de projets sur une année sans nommer ça « festival »… Mes activités ne se limitent d’ailleurs pas à la troisième semaine de septembre :-) Après, étant d’une nature intranquille, je vois toujours ce qui est perfectible plus que ce qui marche… mais je travaille là dessus !

La soirée qui te satisfait le plus - et pourquoi ?

La soirée de dimanche au 104 sans doute… J’affectionne ce genre de projet très compliqué à monter et super jouissif à vivre… 

Et justement, il vous reste deux événements d’envergure qui donnent envie de se bouger : la folle soirée de samedi à Belleville sous forme de Double Jeu ( c’est le nom !) qui investit tous les espaces de la Maroquinerie et la Bellevilloise pour une soirée entre rap, dancehall, club music et avant-gardes du dancefloor. Côté Maroquinerie, deux lives inédits : le duo afro-punk Tshegue entouré de musiciens surprises et le rappeur neopunk postrave Jardin qui dévoilera une performance imaginée en résidence au Red Bull Studios Paris. À leurs côtés aux platines, Slikback, le producteur kenyan du collectif Nyege Nyege Nyege, la DJ afro-américaine Juliana Huxtable et l'agitatrice des nuits parisiennes Crystallmess. Côté Bellevilloise, les rappeurs belge et suisse Kobo et Makala se partageront l'affiche avec le beatmaker canadien Lunice, la DJ américano-béninoise Mel Wood et le Parisien Rakoto3000 tandis que Jojo Skrazzy, Carla Genus & Daddy Chulo du collectif Sixtion s'occuperont du Forum en mode reggae dancehall all night long.

Et, pour terminer en aquaplanning jusqu’au lundi, de midi à minuit, le dimanche au 104 sera audiophile. Avec ces sets construits autour des mythiques enceintes Klipschorn qui viendront entourer le dancefloor de leur son cristallin et immersif qui révèlent les moindres détails des enregistrements sonores. L'occasion de redécouvrir des classiques sous un jour complètement nouveau en compagnie de James Murphy, fondateur du groupe LCD Soundsystem et du label DFA Records, Colleen ‘Cosmo’ Murphy, organisatrice des soirées Lucky Cloud à Londres, Vincent Privat, digger chevronné et incontournable de la place parisienne et Sébastien Deswarte aka Seb le Vinyl. Si après cela, vus n’avez pas envie de tenter l’expérience… 

Propos de Guillaume Sorge recueillis par Jean-Pierre Simard le 25/09/19
Red Bull Festival Paris 2019

Un méditatif Guillaume Sorge… que va-t-il bien pouvoir se passer les jours à venir ?