Le vrai du faux, en art comme ailleurs avec le Thésée de Raphäel Fabre
Dans un monde contemporain dopé au numérique, Raphaël Fabre révèle les dangers des deepfakes, ces vidéos truquées plus vraies que nature… Ses décors réels et ses images 3D — faites par ordinateur - jouent avec les notions de vrai et faux, d’authenticité, de virtualité et de fiction…
Raphaël Fabre, né en 1989, est diplômé de l'école des Beaux-Arts de Paris. Il a, entre autres, exposé à la Galeria Continua, à la Biennale du Réel, au Salon de Montrouge, à la Galerie R2 à Paris, aux Barreaux, etc. Dans un monde contemporain dopé au numérique, Raphaël Fabre révèle les dangers des vidéos truquées plus vraies que nature... Ses décors réels et ses images 3D faites par ordinateurs, jouent avec les notions d'authenticité, d'artifice, de virtualité et de fiction. Il rapproche également l’art de la magie en ce que toutes deux créent des illusions pour duper un public.
Bettie Nin – La légende du bateau de Thésée sert de pierre angulaire à l'exposition que tu présentes aujourd'hui à La Traverse. Dans cette légende, les Athéniens remplacent les pièces du navire du héros grec à mesure que le temps fait son œuvre. Ils le préservent ainsi pendant des siècles alors qu'il ne reste plus rien du bateau d'origine. Peux-tu nous dire ce qui t’intéresse tant dans ce mythe ?
Raphaël Fabre– Il pose pour moi la question du changement et de la copie. Si il ne reste plus rien du bateau originel mais qu'il conserve toujours la même forme, est-ce que cela change sa nature ? est-ce toujours le navire de Thésée ? ou bien sa copie ? ou un tout autre objet ? ou un hybride des deux ? Ce qui m'intéresse c'est que l'on voit bien que le vrai et le faux ne sont séparés par aucune ligne précise. Que tout est fondu. Que la limite est indiscernable. Qu'il n'y a pas de distinction « officielle » entre eux... À notre époque, c'est particulièrement visible.
BN – La notion de faux résonne avec celle de fiction. Une fiction est-elle pour toi une manipulation ?
RF– Oui, je pense que la fiction a cette capacité de manipuler l'attention et l'interprétation des gens. Par exemple, nous regardons des films pour avoir des émotions que nous n'aurions pas eu dans la vie normale... pour changer notre regard... pour vivre des choses différentes... D'une certaine manière lorsqu'il s'agit de divertissements, nous acceptons cette manipulation. Mais les outils de la fiction sont aussi utilisés pour contrôler les populations, pour diriger les opinions. La fiction peut donc créer aussi bien des choses merveilleuses que du danger lorsqu'elle est utilisée à une échelle tellement grande que nous ne pouvons plus la contrôler. J'essaie de créer des environnements, des pièces ou des actions qui provoquent ces deux effets en même temps.BN – Pour cela tu réalises des images numériques et des décors réels...RF–J'aime mêler des décors immersifs - c'est-à-dire architecturalement présents autour de nous, dans lesquels on peut se déplacer et où le corps existe - et des éléments numériques immatériels. Je cherche à avoir un panel d'outils assez large pour créer de la fiction et pour manipuler le spectateur. De manière littérale, le décor est, ici, composé de salles de navires.Il y a notamment un couloir de bateau-cargo comme ceux que l'on voit dans les films.J'utilise aussi des images de bateaux beaucoup plus anciennes et je tourne autour de l'idée de la chasse au trésor et d’aventures mystérieuses inspirées d’Edgar Allan Poe par exemple J'exploite les multiples interprétations du thème du bateau pour perdre le spectateur dans une sorte de dédale de signes.BN–Pour l'exposition, tu as réalisé deux œuvres en 3D...RF – Ce sont les deux pièces clés de l'exposition. Elles utilisent toutes les deux les mêmes techniques numériques de manipulation des images.BN–C'est le cas pour une reproduction entièrement faite à l'ordinateur du tableau«LeChrist dans la tempête sur la mer de Galilée»(1633) de Rembrandt...RF – Choisir un Rembrandt était important car il est considéré comme un des artistes les plus copiés au monde... On pense même qu'il y a des faux Rembrandt dans les musées internationaux. DansLe Christ dans la tempête sur la mer de Galilée, on voit le Christ avec ses apôtres proche de sombrer dans une tempête. C'est un tableau parfait pour cette exposition car d'une part il fait écho au mythe du bateau de Thésée*et d'autre part parce qu'il a été volé en 1990 au Musée Isabella Stewart Gardner de Boston. En le reproduisant numériquement j'évoque le faux, la copie et la difficulté à authentifier une œuvre. Le bateau qui coule est aussi la métaphore d'une société qui sombre. Le faux tableau agit comme un tour de magie raté qui tente de faire réapparaître le Rembrandt disparu.
BN–Quel regard portes-tu sur les nouvelles technologies de truquage d'images, dopées à l'intelligence artificielle, comme le«deep fake**»?
RF – Je trouve fascinant de voir que les technologies les plus actuelles comme le « deepfake » et les réseaux neuronaux vont bientôt permettre de copier ou de manipuler les vidéos de n'importe qui sans que l'œil humain le perçoive ! Nous allons, selon moi, passer un cap dans la fausseté et dans le contrôle des images qui va nous dépasser complètement.
Michel Mogador le 14/05/19
Raphäel Fabre- Le Navire de Thésèe ->15/06/19
CAC La Traverse - 9, rue traversière 94140 Alfortville