Les institutions culturelles sans les gilets jaunes, par Jean Marc Adolphe

Qui ne dit mot consent. Le silence des institutions artistiques et culturelles à l'endroit des Gilets jaunes est assourdissant.

A l’instant, vendredi 8 février 2019, vient de tomber un communiqué du Syndeac, syndicat (patronal) des entreprises artistes et culturelles :

Fiction, bien évidemment, que ce (faux) communiqué du SYNDEAC. Mais au fond, c’est ça. Comme dit l’adage : qui ne dit mot consent.

Résumons. Le 22 janvier dernier, en réponse aux rares voix qui s’étonnent du silence étourdissant des institutions artistiques et culturelles et de leurs représentations les plus en vue face au mouvement des Gilets jaunes, ainsi qu’à la création d’une coordination nationale Gilets jaune dans l’art et la culture, Marie-José Malis, metteure en scène, directrice du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers – Centre dramatique national et présidente du Syndeac, se fend d’une tribune dans Libération, pour appeler à « un acte II de la décentralisation culturelle », dont l’un des objectifs prioritaires serait de « réimplanter des artistes dans les zones pavillonnaires et dans les villages. » Quelle méconnaissance du terrain : beaucoup d’artistes résident d’ores et déjà en zones rurales ou péri-urbaines. Et surtout, quelle inconséquence politique :  il suffirait de saupoudrer quelques artistes au beau milieu de zones en déshérence pour résoudre d’un coup de baguette magique les fractures sociales, économiques, territoriales, numériques, etc, qui minent le pays et la cohésion nationale !

Sur la « crise » (de légitimités) que traverse le pays, Marie-José Malis n’est pas dupe : « nous savons que ce qui se joue là, porté par les habitants, est une séquence décisive de notre histoire. Elle pèsera sur nous tous, si elle est maltraitée. Notre destin s’y joue, en grande partie. » Et alors, quelles conclusions, quels engagements ? « Nous n’avons pas pris la parole collectivement sur le mouvement des gilets jaunes parce que nous étions probes », écrit incroyablement Marie-José Malis. Probe ? Qui fait preuve de probité, cette « vertu qui consiste à observer scrupuleusement les règles de la morale sociale, les devoirs imposés par l'honnêteté et la justice » (Petit Robert).  En quoi le fait de tenter d’ouvrir un dialogue collectif avec le mouvement des Gilets jaunes aurait-il été immoral, malhonnête et injuste ? Les chefs d’entreprise du Syndeac auraient-ils craint de se souiller en allant à la rencontre des gueux qui manifestaient, et dont beaucoup, sans doute, ne sont pas abonnés à tel ou tel des fleurons de la « décentralisation culturelle » ? Vu le prix des places qui y est habituellement pratiqué, il n’y a guère de quoi s’étonner, mais bon…

Mais tout finit par bouger, même le Syndeac. Marie-José Malis conclut ainsi sa tribune du 22 janvier : « Les adhérents du Syndeac, dans leurs lieux, leurs compagnies, se disent prêts à accueillir tous les débats que voudront organiser les habitants, avec les intellectuels et tous ceux qui se sont déclarés prêts à les accompagner ; ils disent et diront sur les lieux des réunions populaires, sur les ronds-points et ailleurs, qu’ils ont beaucoup à y apprendre, qu’ils veulent partager la difficulté nouvelle des questions, y venir avec ce qu’ils sont : des gens dont la fonction est de travailler à mettre en formules éclaircies, désirables, et libératrices, les points en impasse de notre vie. Et que pour cela, plus que jamais, car pour tout le monde dans ce moment de l’histoire une manière nouvelle de nommer le monde et d’y organiser notre action, doivent être inventées, ils ont besoin des autres, du réel des existences. » C’est beau, la poésie, mais « seuls les actes engagent » (René Char). Le reste, c’est du bla-bla.

Dans la foulée de cette « invitation à accueillir », une proposition a été émise par la philosophe Valérie Marange, co-directrice de la revue Chimères : qu’artistes et lieux culturels organisent des soirées  publiques  dont les recettes seraient reversées à une caisse de soutien aux victimes de violences policières. Cette initiative est relayée le 27 janvier par le Cours des choses et le mouvement Citoyens d’abord. En vain : la proposition fait un flop total.

Le jeudi 31 janvier, soit 9 jours après la publication de la tribune de la présidente du Syndeac, je me mets à enquêter auprès de certains lieux emblématiques de la décentralisation culturelle, à commencer par le Théâtre de la Commune, à Aubervilliers, dirigé par… la présidente du Syndeac. Marie-José Malis interrompt une répétition (d’un spectacle de Richard Maxwell, The End of reality, qui « met en scène des employés d’une agence de sécurité » (sic) et  dont la création est annoncée pour le 6 février) afin de répondre à mes questions. Selon elle, le Théâtre de la Commune organise déjà beaucoup de choses (quoi, précisément ? Je n’ai pas réussi à comprendre, et je n’en trouve aucune trace sur le site internet du théâtre), mais semble favorable à la tenue d’une telle soirée de soutien. Sauf qu’au moment d’en fixer la date, elle ne peut pas décider et m’annonce que  son directeur adjoint, Frédéric Sacard, va me rappeler calendrier en main. 7 jours ont passé : le téléphone est resté muet. C’est compliqué, les plannings des théâtres…

Ce même 31 janvier, j’appelle le Théâtre national de Strasbourg, dirigé par Stanislas Nordey, présenté par Télérama, le 21 janvier 2019, comme « enfant terrible du théâtre subventionné » (n’a-t-il pas « monté » Pasolini, Didier-Georges Gabily, Falk Richter, etc.), qui « continue d’étonner par la fulgurance, la radicalité, la profondeur et l’intelligence d’un parcours passionné. » Pour Télérama, Fabienne Pascaud demande à Stanislas Nordey s’il n’est « pas choqué par le fait que la culture soit absente du grand débat national .»  Réponse lapidaire du metteur-en scène et directeur du TNS : « Les Gilets jaunes n’ont hélas manifesté aucune revendication culturelle… » On pourrait objecter à Stanislas Nordey que le désir d’un « référendum d’initiative citoyenne », voire des demandes touchant au pouvoir d’achat, sont, en soi, des « revendications culturelles ». Se souvenir en effet que l’actuelle politique culturelle française trouve ses racines du côté du Front populaire, sous le gouvernement de L éon Blum. Comme le rappelle l’historien Pascal Ory « menée par Jean Zay, ministre de l’ Éducation Nationale et des Beaux-Arts, avec Léo Lagrange, Secrétaire d’État aux Sports et Loisirs, [cette politique] était destinée à développer les pratiques culturelles et à les démocratiser pour les mettre à la portée de tous les citoyens. La création artistique et la recherche scientifique, l’éducation et l’information, enfin les loisirs populaires –parmi lesquels le sport- firent l’objet de multiples initiatives, dont il importe de souligner qu’elles furent, suivant les moments et les terrains, promues non seulement par les pouvoirs publics mais aussi par un vaste mouvement associatif, pour l’essentiel né du Front populaire. »

Dans un éclair de lucidité, Stanislas Nordey concède toutefois que « si certains d’entre eux [Gilets jaunes] n’ont plus de quoi manger de la viande dès le 20 du mois, je comprends qu’aller au théâtre ne soit pas une priorité. » Euh, réveille-toi, camarade Nordey !  D’abord, « manger de la viande » n’est pas obligatoire, on peut s’en passer. Mais surtout, pour beaucoup, la « fin du mois » commence dès le 1er du mois, pas le 20 !

Bref, après avoir longuement échangé avec le secrétaire général du TNS, en l’absence de Stanislas Nordey, il est convenu que l’un ou l’autre ma rapellera après concertation, le lundi 4 février. Là, ce ne devrait pas être un problème de disponibilité de salle : il n’y a aucun spectacle au TNS d’ici le 27 février. Mais il faut décider. Et décidé, ça, c’est compliqué…

Olivier Py, cumul des mandats (et les mandats sont élevés)

Promis, juré, je ne reparlerai pas ici d’Olivier Py. Le frétillant directeur du festival d’Avignon a d’autres chats à fouetter que d’aller vérifier sur les ronds-points que le mouvement des Gilets jaunes est autre chose que minable rassemblement de nazillons. Il est au four et au moulin. Figurez-vous, depuis le début du mois de janvier, notre homme, hyperactif, a déjà enchaîné :

  • deux mises en scène d’opéra : Lucia di Lammermoor , de Donizetti, à Bâle ; et La Gioncoda, de Ponchielli et Amilcare, à La Monnaie de Bruxelles,

  • une tournée d’adieux de son spectacle Miss Knife (d’un théâtre privé à Paris, le Théâtre de l’Œuvre -propriété de l’humoriste François-Xavier Demaisonn, du metteur en scène Benoît Lavigne, également patron du Lucernaire, et du groupe Vivendi), à Grenoble, Marseille, etc.),

  • une tournée de l’opérette Mam’zelle Nitouche, qui a débuté à Lausanne et sera à l’affiche de Broadway au printemps 2019 avant son retour en France en juin à Marigny (théâtre appartenant à la Ville de Paris, concédé en 2000 à la holdingArtémis du milliardaire François Pinault).

Olivier Py prépare en outre la reprise, du 5 au 14 avril à Bordeaux et du 7 au 21 mai à l’Opéra Comique, de l’opéra Manon, de Jules Massenet, production du Grand Théâtre de Genève.

J’ai failli oublier. Il a également repris en ce début d’année, au Théâtre National de Bruxelles, un spectacle créé lors du dernier Festival d’Avignon, Pur présent  (La Prison, L’Argent et Le Masque), une pièce « qui se souvient des tragédies d’Eschyle », rien de moins. Le texte (d’une médiocrité de bas-étage) a été publié par l’ancienne ministre de la Culture Françoise Nyssen, à l’enseigne d’Actes sud. Dans sa présentation du spectacle, le Théâtre National de Bruxelles écrivait :

« Pour « cette tragédie de notre pur présent » dans lequel « le moindre geste nous rend coupable », Olivier Py a voulu la fulgurance, la concision grâce à quelques personnages puissants et des situations extrêmes : un détenu et un aumônier, un banquier et son fils, un homme masqué et la foule, une prison qui brûle, un coup de feu, une révolution masquée. Tous sont pris dans des joutes oratoires qui s’entremêlent et se répondent. Tous s’emparent d’une question pour laquelle morale et loi sont impuissantes. « Comment vivre dignement ? »

Voilà, au moins, qui est dit clairement. Et rien d’étonnant, donc, à ce que pour « vivre dignement », Olivier Py s’affranchisse des règles de la loi et de la morale. Tient, au fait, combien est payée une mise en scène d’opéra ? Il a fallu plus de deux heures d’enquête pour percer l’un des secrets les mieux gardés de la planète culturelle. Même la rédaction d’Opéra Magazine avoue ne jamais s’être penchée sur un détail d’une telle futilité. Rien sur la Toile. Contactés, des directeurs d’opéra se retranchent derrière le « secret-défense ». Des metteurs en scène qui ont pu travailler pour de grandes scènes lyriques, également consultés, refusent pareillement de répondre. Qu’y a-t-il donc à cacher ? Sous couvert d’anonymat, un spécialiste des opéras européens finit par cracher le morceau : les cachets (pour 15 jours de travail, en gros) vont de 60.000 € (pour Laurent Pelly, par exemple) à 120.000 € (Romeo Castellucci), auxquels s’ajoutent le plus souvent des « droits de suite ». Trois opéras (dont une reprise), deux spectacles en tournée, une opérette qui part à Broadway… à vue de nez, en 6 mois, Olivier Py doit empocher quelque 500.000 € de cachets artistiques (ne parlons pas des droits d’auteur d’Actes Sud). Un peu juste, pour « vivre dignement », mais ça devrait aller.

Ne craint-il pas le surmenage, Olivier Py ? Que nenni. En juillet dernier, dans Le Monde (dont le président du conseil de surveillance, Louis Schweitzer, est également président  du Conseil d’administration du Festival d’Avignon), Dominique Perrin signait un vibrionnant portrait du « rebelle institutionnel « qui dirige le festival d’Avignon :

« L’homme souffre des deux épaules, inflammées depuis des mois, d’où son étrange démarche. Il peut à peine enfiler une veste. « Non, je n’ai pas trop de choses sur les épaules, ironise-t-il. J’ai trop forcé sur le sport en salle. »

Ouf ! C’est juste un problème de muscu. Aux dernières nouvelles, Olivier Py serait en train de faire réaliser un hologramme pour diriger le festival d’Avignon pendant qu’il batifole sur les scènes d’opéra et qu’il joue Mam’zelle nitouche à Broadway. Trêve de plaisanterie : on espère que la Cour des comptes ira vérifier fissa que pendant qu’il cachetonne à tous vents, depuis novembre dernier et jusqu’en juin prochain, Olivier Py a eu la décence de se mettre en congé du festival d’Avignon et qu’a été suspendu son confortable salaire de directeur (Combien ? Encore un secret fort bien gardé. Même des membres du Conseil d’administration du Festival d’Avignon, qui doivent savoir, refusent de répondre). Si tel n’est pas le cas, souhaitons (pour lui) qu’Olivier Py sache muscler… sa défense !

Il devrait compter pour cela sur un bon camarade, en la personne de Christophe Castaner, avec qui il a copiné en juin 2015 lorsque ce dernier était venu visiter La Fabrica, lieu permanent du Festival d’Avignon, battant la campagne des élections régionales pour le compte (à l’époque) du Parti socialiste. Le grand projet de Castaner, c’était alors de s’appuyer sur Avignon pour faire de la région Provence-Alpes Côte d’Azur « la Californie d’Europe ». Mais il a été battu : n’est pas qui veut  Arnold Schwarzenegger -gouverneur de la Californie de 2003 à 2011).

Olivier Py et Christophe Castaner ont au moins deux points en commun : pour eux, la dignité n’a que faire de la morale et la loi ; et d’autre part, ils ont l’un et l’autre une relation perverse au langage. Pour Olivier Py, il y faudrait une thèse de doctorat, et j’ai mieux à faire. Pour l’actuel ministre de l’Intérieur, quelques lignes suffisent.

L'art de la "bavure"

Lundi dernier, 4 février 2019, alors que le Syndeac réunissait son conseil national, et qu’au même moment, une tentative de perquisition visait les locaux de Mediapart, Christophe Castaner était à Montpellier afin d’y inaugurer une antenne du Raid. Lors de ce déplacement, il a insisté sur le sens à donner au mot "bavure" :

« La bavure, moi je la connais. C’est une tache d’encre qu’on enlève d’une feuille. Une personne blessée quelle qu’elle soit, qu’elle soit un 'gilet jaune', qu'elle soit un observateur ou un policier, ce n’est jamais une bavure [...] Il faut donner du sens au mot et ne pas les utiliser quand on parle de personnes blessées. S'il y a des fautes, elles sont sanctionnées. Mais inversons un peu la charge de la preuve. Aujourd'hui, il n'y a pas d'un côté des policiers violents qui s'en prendraient à des gentils manifestants. Il y a des brutes qui viennent dans les manifestations pour casser. »

Surprenante déclaration ! Le début d’un livre à paraître chez Actes sud, avec double préface d’Olivier Py et du Syndeac ?

Une « bavure », tout d’abord. Christophe Castaner devrait réviser son Petit Robert. Il y a trois définitions :

  1. Trace, saillie que les joints d’un moule laissent sur l’objet moulé. 2 (Par anal) : Trace d’encre empâtant une écriture, un dessin, une épreuve d’imprimerie. 3. Erreur pratique, abus, conséquence fâcheuse. Ex : « La police a de la peine à éviter ce qu’on nomme pudiquement des bavures » (Le Monde, 37-3-1970) ».

L’inversion de la charge de la preuve, ensuite. Christophe Castaner devrait réviser ses cours de droit. D’abord, en droit, on ne parle pas « inversion » mais « renversement » de la charge de la preuve. Petit rappel juridique : la preuve, c'est la démonstration de la véracité d'une affirmation, démonstration dont on va tirer des conséquences juridiques. Les preuves, ce sont les procédés techniques que l'on va utiliser pour établir l'existence d'un droit ou d'un fait afin de soutenir une prétention juridique. En l’état, les nombreuses captations vidéo réalisées ici ou là, et notamment collectées par le journaliste David Dufresne, prouvent abondamment que des violences policières ont été commises. Les blessures, mutilations, etc, sont bien réelles, elles n’ont pas été fabriquées par des réseaux sociaux manipulés par on ne sait quels services secrets !

Ensuite…, l’article 1315 alinéa 1 du Code civil précise que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. C'est celui qui n'est pas satisfait de la situation actuelle qu'il appartient de rapporter la preuve de son droit. On dit que la charge de la preuve pèse sur le demandeur. (…) La question de la charge de la preuve, ce n'est pas simplement la question de savoir sur qui pèse la charge de la preuve, mais cela permet également de déterminer laquelle des deux parties va supporter le risque de la preuve, qui perd le procès si un doute subsiste ? C'est la partie sur laquelle pesait en dernier lieu la charge de la preuve.

Enfin, à propos du « renversement de la charge de la preuve » :  il arrive parfois que le législateur  par une présomption légale dispense le demandeur d'apporter la preuve. En principe la présomption laisse la place à la preuve contraire. Cela signifie que si le demandeur est dispensé d'apporter la preuve de son droit, le défendeur, lui, a tout de même la possibilité d'apporter la preuve contraire. Dans cette hypothèse, on parle de présomption simple, ou réfragable. La présomption peut aussi être irréfragable. Cela signifie que le défendeur ne peut pas renverser la présomption en apportant la preuve contraire. A partir du moment où toutes les voies de recours sont utilisées, on va présumer que la décision du juge est vraie, elle obtient autorité de chose jugée.

(source : http://www.cours-de-droit.net/qu-est-ce-que-le-renversement-de-la-charge-de-la-preuve-a127102788 )

Concrètement, Christophe Castaner n’a pas le droit de dire qu’il faudrait « inverser un peu la charge de la preuve » : c’est un non-sens total. Et s’il y avait un tel renversement, il devrait, pour plaider sa défense, prouver qu’il y a « des brutes qui viennent dans les manifestations pour casser. »  Elles sont où, les preuves ? Et quand bien même trouverait-il deux ou trois preuves irréfutables, il devrait encore prouver que la riposte de la violence policière est justement proportionnelle à la menace.

Le droit et l’art du théâtre ont un point en commun : à partir de textes écrits, parfois émaillés de didascalies, tout est affaire d’interprétation. La rhétorique du Syndeac appartient à l’art de la prestidigitation, ou si l’on préfère, de l’escamotage : « …dans ce moment de l’histoire une manière nouvelle de nommer le monde et d’y organiser notre action, doivent être inventées, ils ont besoin des autres, du réel des existences. » Pourquoi « doivent être inventées » ? Elles le sont déjà, en actes, par le mouvement des Gilets jaunes. Et le « réel des existences », il se manifeste dans la rue, en ce moment-même, et il se prend en pleine poire tirs de flashballs, grenades lacrymogènes, etc. De ce « réel » là, qui blesse le public qu’il prétend représenter, le Syndeac n’a rien à dire ; il tourne les yeux ailleurs, par ailleurs vers l’égalité hommes-femmes, certes un sujet important, mais où en la matière, les entreprises artistiques et culturelles sont loin d’être exemplaires. Or, que dit le Syndeac ? Pour assurer une « politique d’égalité », il faudrait préalablement « renforcer les moyens en faveur de la création artistique ». Si quelqu’un peut expliquer le pourquoi du comment d’une telle assertion, j’offre une caisse de champagne !

En clair, tout ce que réclame le Syndeac, c’est du pognon, du pognon et encore du pognon pour « la création artistique ». Ben voyons. Alors que depuis plusieurs semaines, le France des ronds-points manifeste son désir d’une justice sociale rééquilibrée, d’une démocratie réinstaurée, et au fond, d’une dignité reconquise, les positions du Syndeac  tiennent de l’indécence (de classe, ou d’ancien régime) la plus odieuse qui soit.

Il est logique, par conséquent, que les institutions artistiques et culturelles se tiennent à l’écart d’un mouvement populaire qui réclame une meilleure redistribution des richesses, y compris culturelles. Mais les patrons de ces institutions entendent bien rester assis sur le petit magot de leurs privilèges et pour y parvenir, tendent depuis des années à se faire passer pour les propriétaires exclusifs du sens et du sensible, c’est-à-dire du « bon goût bourgeois » qui sait même s’offusquer lui-même avec de gentilles petites provocations performatives. Basta la comedia !

Jean-Marc Adolphe, le 8 février 2019

Jean-Marc Adolphe, né le 31 août 1958 à Saint-Aignan dans le Loir-et-Cher, est un journaliste, essayiste et directeur de projets artistiques et culturels. Il est le fondateur de la revue Mouvement. Il tient un blog sur les rapports entre le monde de la culture, les institutions et la société.