Le japonisme amniotique de guillaume Dégé
Semiose présente la nouvelle exposition personnelle de Guillaume Dégé. Intitulée Un grain de moutarde, son titre est emprunté au traité des lois de l’esthétique extrême-orientale, Les Enseignements de la peinture du jardin grand comme un grain de moutarde (première publication en 1679, traduction française en 1918). Réunissant les instructions des plus grands maîtres sans se référer à une école particulière ni à une époque déterminée, cette encyclopédie constitue un ouvrage de référence pour de nombreux initiés, dont Guillaume Dégé. Formé au chinois aux Langues O’(Inalco) à Paris puis à Shangaï, il partage aujourd’hui son temps entre la Chine — il est maître enseignant à l’École supérieure des beaux-arts de Xi’an — et la France où il enseigne à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris
[...] Au fil des dessins, se dégage un répertoire de formes organiques : la faune, la flore, les organes humains, tous représentés par des corps mous et souples, translucides, au volume légèrement suggéré et parfois finement tramé – comme les tailles croisées d’un aquafortiste –, des dessins qui semblent jaillir d’une main qui dessine presque seule. [...] Ce lexique de formes, peut-être celui d’un être qui dit ne pas savoir dessiner et qui se repose sur des motifs familiers, qui viennent facilement comme les mots d’un langage qu’il aurait inventé, est une charnière entre les dessins. Il est parfois leur objet même. Il devient par exemple paysage à l’aquarelle sur des feuilles de papier ligné qui posent un horizon – tiré de livres de comptes ? – et créent déjà de la narration. D’autres dessins au crayon de couleur plus épurés encore, car le support n’offre plus d’attache, affirment l’autonomie de ces formes qui ont également été récapitulées dans des planches d’inventaire en 2013, comme un herbier. Leur récurrence, leur intimité et leur malléabilité font que le dessin de Guillaume Dégé dit encore quelque chose de lui-même lorsque toutes les ressources ont été épuisées. »
Après le ton très doctoral de Laurence Schmidlin et son étude de cas, ce qui nous apparaît flagrant dans l’œuvre de Dégé, c’est plus sa propension à faire fondre les images et à les rendre organiques qu’autre chose. Ici, une œuvre est un moment, pas plus qu’un autre. à faire défiler l’histoire de la peinture, en allant chercher en Extrême-Orient une certaine technique. On n’est jamais dans l’estampe, mais pourtant pas loin, sans figuration ni personnage. On y circule dans les pastels, à voir grouiller un monde qui s’étire sans fin dans un jus amniotique, monde de paramécies. Mais non ! Et pourtant, ce monde suggestif reste toujours au bord du connu, il envoie des formes, des postures et des figures : un éventail par-ci, un concombre par là- mais sommes-nous bien sûr qu’il s’agisse de la représentation ou de l’objet représenté? La force du propos est là, à montrer, sans dire, à évoquer et formuler sans poser autre chose que le dessin ou la peinture. A vous de voir, de sentir, de tenter de reconnaître. Ou plus simplement de vous laisser ébahir par ces évocations d’ailleurs bien présentes. On recommande chaudement le voyage.
Jean-Pierre Simard le 17/12/19
Guillaume Dégé, Un grain de moutarde-> 11/01/20,
Galerie Semiose 54 rue Chapon 75003 Paris