Hourrah Hujar ! (la vie à toute vitesse)
Peter Hujar, ses images et New York sont inséparables. A évoluer au sein d'une avant-garde de danseurs, musiciens, plasticiens et travestis, il a symbolisé l’apparition de la visibilité du mode de vie gay, des émeutes de Stonewall en 1969 à la crise du sida dans les années 1980.
De la fin de ses études secondaires, en 1953, jusqu’en 1968, Hujar travaille comme assistant de divers photographes publicitaires. Cinq années passées à collaborer à des magazines grand public le convainquent qu’une carrière de photographe de mode n’est pas pour lui. En 1973, il décide de mener une vie d'artiste qui lui offre enfin la liberté dans son travail photographique. Et un monde s’ouvre à lui, le New York underground de l’époque. Mais pas que.
Dans le loft-studio qu’il occupe au-dessus d’un théâtre de l’East Village (au sud de Manhattan), Hujar braque son objectif sur ceux qui suivent leur instinct créatif et refusent les succès faciles. De ses photographies, il disait qu’elles sont « des images simples et directes de sujets difficiles et compliqués »; elles immortalisaient des instants, des êtres et des pratiques culturelles dont l’existence fut aussi fugitive que leur vie. « Les moments les plus heureux avec Peter, lorsqu’il ne photographiait pas, étaient ceux où nous arpentions Manhattan, les yeux levés vers le sommet des immeubles, en fantasmant sur ce que ce serait de “vivre là-haut” » se souvenait un de ses proches amis Gary Schneider.
Né dans le New Jersey, Hujar a vécu toute sa vie à New York, et plus particulièrement à Manhattan dont il commence à photographier de manière plus fréquente les immeubles, rues et quais dans la seconde moitié des années 1970. Partagée entre le Downtown délabré et les gratte-ciels de Midtown, le New York de Hujar est souvent nocturne. Une ville d’immeubles abandonnés, de déambulations de nuit et de visions apparues au petit jour. En été, des séjours en dehors de New York – dans une enclave reculée de Fire Island et, au début des années 1980, dans la campagne autour de Germantown, à plus de 150 kilomètres au nord de New York, le long de l’Hudson – complètent cette géographie personnelle d’Hujar et témoignent de la diversité des sujets qu’il jugeait dignes d’être photographiés.
« En un sens, je suis toujours un photographe de mode. Mes personnages ont du style, mais de façon un peu obscure. La plupart ne sont pas connus, ou alors connus d’un tout petit public. Mais dans leur domaine, la création, ce sont tous des aventuriers qui ont un certain type d’esprit. » Peter Hujar
« Hujar était une légende underground, bien connue dans les échelons supérieurs de l’avant-garde de Downtown, un cercle culturellement influent qui réunissait un certain nombre de figures dont la notoriété avait gagné le grand public : William S. Burroughs, John Cage, Allen Ginsberg, Fran Lebowitz, Susan Sontag, John Waters, Robert Wilson. Hujar les avait tous photographiés.»
Philip Gefter
En 1981, Hujar a une brève liaison avec David Wojnarowicz, avec lequel il va parcourir les quartiers délabrés de New York. La ville qu’il a photographié à cette période, est un petit monde vibrant d’une intense énergie créatrice, qui a disparu - par la volonté du maire Rudy Giuliani qui a ripoliné la ville pour en faire un parc touristique depuis. Peter Hujar est décédé en novembre 1987 d’une pneumonie liée au sida, quelques mois après Keith Haring, autre symbole. Son idée est que les corps en disent autant que les visages sur le caractère des personnes, leur affectivité ou leur histoire personnelle. Hujar a photographié des corps très jeunes ou extrêmement âgés, des corps singuliers ou encore des états transitoires, tels la grossesse et l’excitation sexuelle. Qu’il photographie des visages ou des corps, Hujar prêtait toujours attention aux marques laissées par le temps et l’expérience : une cicatrice chez Manny Vasquez ou la marque des chaussettes sur les chevilles de Randy Gilberti. « Je veux que les gens puissent éprouver l’image tactilement et sentir son odeur », disait-il de ses portraits de nus, qu’il voulait radicalement différents des corps idéalisés de Robert Mapplethorpe.
Hujar avait deux façons de présenter son travail. Soit il exposait des tirages isolés – le plus souvent dans son loft, où il ne montrait qu’une seule photographie à la fois ; soit, comme dans cette salle, il les regroupait en une longue série, superposant ses images deux par deux. Pour la dernière exposition qui eut lieu de son vivant, en janvier 1986, à New York, Hujar couvrit les murs de la galerie Gracie Mansion d’une frise de soixante-dix photographies sans ordre apparent. Ce dispositif, Il passa des jours et des jours à peaufiner ce dispositif jusqu’à supprimer toute répétition consécutive du même type d’image (portrait, nu, animal, nature morte, paysage naturel ou urbain). Chaque photographie, loin de constituer une variation sur un thème imposé, était ainsi rendue à son identité propre et à sa singularité. Le choix de la frise souligne la richesse de son inventivité, suscite des échos entre des images a priori très éloignées les unes avec les autres et attire l’attention sur les grands thèmes qui ont jalonné sa carrière. Centrée autour d’images réalisées dans les années 1980, la scénographie de cette salle est librement inspirée de celle de l’exposition de 1986. Et elle donne vraiment à voir la manière dont il envisageait son travail et la façon de le montrer, en en faisant ressortir le maximum. On va donc retrouver ici, immortalisé, l’esprit du New York Downtown, autrefois représenté par le Basquiat des débuts; une partie de la ville qui a dirigé l’art et la culture, du punk à l’arrivée de Giuliani et imaginer une bande son qui passe du Paradise Garage à la Dancetteria, en glissant par le Mudd Club - de Wayne County à Patti Smith, Chic, Blondie et Grandmaster Flash, avant l’apparition de la house et de la techno… A la fois reflet d’époque et vision en grand large de la photo intimiste, vue de l’intérieur, Hujar est un photographe symbolique qui dépasse son propos et entre ici dans l’histoire. Il était temps !