En suivant (de près) la piste Fromanger
Gérard Fromanger appartient à la génération des années pop, celle ici dénommée «nouvelle figuration ». Le peintre fait le guide entre les deux grandes familles du XXe siècle : la famille Picasso (1881-1973) et la famille Duchamp (1884-1968). Le documentaire de Daniel Ablin et Serge July et les bonus multiplient les approches : passionnant !
Celui qui, à 24 ans fut présenté par Jacques Prevert à Aimé Maeght, le grand galériste, avait de quoi plaire. Maeght voulait qu’il devienne le nouveau Giacometti! Cela a dû être grisant pour ce jeune homme de faire partie de ce monde, vivre à Montparnasse… se faire prêter par César son atelier, rencontrer Giacometti, s’amuser le soir chez Castel avec les Beatles. Et pourtant, Gérard Fromanger fera le choix de dire non à Maeght, laissant de côté ses portraits gris, la facilité d’une vie d’artiste écrite d’avance … Il choisira définitivement la couleur, nous sommes en 1965 et surgit sa série de Gérard Philippe en Prince de Hombourg décliné en vert, rouge.
Gérard Fromanger : « Nous sommes des artisans, cela se passe sur le tableau lui-même, c’est un calcul très précis qui vient petit à petit, cela n’a rien à voir avec les caractères, c’est autre chose, cela se passe ailleurs, cela se passe dans une combinaison savante et à la fin, émotionnelle des couleurs, mais cela ne se passe pas dans la rue, dans la rue c’est l’émotion de départ, le sujet.
« L’information importante c’est nous »
A Gilles Deleuze, son grand ami, qui lui demandait « Pourquoi est-ce qu’il y a du vert là ? » réponse de Fromanger « Parce qu’il y a un petit rouge en bas à droite, il demande, il est trop seul, il lui faut sa complémentaire, il lui faut son homme ou sa femme, il est trop seul, c’est trop dur tout seul, après, ils sont deux, ils demandent un grand, etcetera etcetera, et à la fin ils dansent. Aucune psychologie sur les couleurs, ce qui est important c’est la peinture.
Exposé et souvent disputé depuis plus de 50 ans, Gérard Fromanger appartient à la génération des années pop, celle dite en France de « la nouvelle figuration ». Le peintre fait le guide entre les deux grandes familles du XXe siècle : la famille Picasso (1881-1973) et la famille Duchamp (1884-1968).
La première déconstruit le regard tandis que la seconde a voulu rompre avec l’art visuel pour donner naissance à l’art conceptuel, au pop art. Gérard Fromagner, lui, se revendique des deux à la fois. Figurative et conceptuelle, son œuvre multiplie les chemins de traverse entre ces deux pôles.
Le film est un voyage au cœur de l’art moderne et contemporain. Mai 68, silhouettes rouges, scènes de rue, Prévert, Godard, Deleuze, Foucault sont autant d’éléments qui témoignent des interventions artistiques de Gérard Fromanger. Tourné au milieu des foules parisiennes et siennoises, « En suivant la piste Fromanger » fait dialoguer le peintre avec de nombreuses personnalités du monde de l’Art et de la création contemporaine.
« Moi je suis plutôt pour les passions joyeuses, mais la valeur suprême pour moi c’est l’énergie du Monde. Alors les couleurs seraient l’exemple d’Einstein, vous êtes dans une gare, votre train démarre, mais il y en a un autre à côté, alors comment voit-on que c’est le notre qui démarre, on regarde alors le quai et on voit bien que c’est nous qui démarrons, donc il faut un quai. Alors entre l’espace et le temps, Einstein a trouvé le quai. Il dit : il y a une valeur qui fait quai, cela veut dire constante, partout et toujours, c’est la vitesse de la lumière, alors il dit E = MC2. Moi, il faut aussi que je trouve mon quai et mon quai c’est la couleur, entre les passions humaines, les décors, l’abstraction, la figuration, la géométrie, le lyrisme, le street art, les environnements, la vidéo, tout ce que vous voulez. Mais mon quai c’est la couleur !
J’adore la peinture et j’essaie de lui donner une chance dans une époque où cela fait plutôt réac. C’est un vrai défi …
Gilles Dalose le 28/05/18
En suivant la piste Fromanger de Daniel Laban et Serge July, éditions Centre Pompidou/ Montparnasse