Les pastels de Sam Kaprielov font froid dans le dos
Dans de grands dessins virtuoses, véritables story boards crépusculaires, Sam Kaprielov nous transporte dans ses cauchemars, avec une vision unique, originale et érudite.
Ses compositions mêlent classicisme, cinéma des années 40 et de science-fiction, histoire de l’art, iconographie chrétienne, architecture, littérature, et même, bandes dessinées.
Mais maintenant il voit bien un reflet dans le noir qui transparaît inextinguible par la porte de la loi. Kafka
Enfant de Riga, comme la famille d’Eisenstein, une éducation des arts classiques à Saint Petersbourg, puis égaré dans la peinture de billards, de masques vénitiens. Un passage à Avignon, enfin un ancrage à Londres. Autant de greffes et de sources multiples, pour un artiste à l’imaginaire tourmenté et visionnaire, que la violence du monde confronte à ses peurs intimes. Scènes d’Apocalypse, cauchemars bibliques, où dans un univers concentrationnaire, des soldats en rang attendent les ordres.
Comme dans les nouvelles de Kafka dont il s’inspire, l’artiste nous fait évoluer dans un monde totalitaire d’où la justice semble absente. Dans des bagnes qui vivent sous la terreur d’un état tyran, des machines ultra perfectionnées, sous la garde d’armées en marche, engloutissent des populations résignées, presque à l’ état sauvage. Les nouveaux maîtres sont d'implacables totems, ogres païens, Aliens, Golems [il n’oublie pas le folklore juif d’ Europe centrale].
Le bruit des sirènes, les porte-avions, le chargement des munitions annoncent l’instant fatal de la destruction. La guerre laisse place à des forteresses noires, des îles peuplées d’animaux préhistoriques, iguanes, tortues, chiens errants et sauvages, derniers survivants des massacres. Et majestueux, des temples, des arches impériales, ruines dérisoires poétiques d’Hubert Robert, archéologies du désastre, se dressent comme des cénotaphes de ces îles aux morts.
Parfois des radeaux de fortune [il a vu celui de La Méduse] portent un espoir pour cette humanité souffrante à demi nue, qui tente d’échapper à son destin. Des femmes, fatales, forcément maléfiques, envahissent le papier pour des négociations macabres, auxquelles les héros se livrent, érotisés. Partout proche du film noir [décors, personnages et accessoires] des expressionnistes Welles ou Fritz Lang, du cinéma russe révolutionnaire, il met au service de ses scénographies une éblouissante technique, comme un éclairagiste de cinéma.
Ce Lord of War, sur des plaques de contreplaqué recouvertes d’un enduit, manie le pastel et le fusain, pour sculpter ses ombres et sa lumière, toujours en contrastes.Dans ce Voyage au bout de la nuit, Sam Kaprielov nous met en garde, apporte une réflexion prophétique a un monde qui court à sa perte, et comme Kafka, son œuvre doit être la hache qui fend la mer gelée en nous.
Félix Guétary avec galerie le 27/03/18
Sam Kaprielov est représenté par la galerie Benamou