Le BAL En Suspens 6 & 7/7 : remettre de la couleur dans la grisaille peut être un premier pas
Passer une semaine En Suspens avec vous au BAL offre l'occasion d'en tirer quelques conclusions que voici …
D'abord la récap de notre propos : conçue comme une tentative abstraite et poétique pour traduire quelque chose de notre temps, l’expo En Suspens interroge le public sur cette chose indéfinissable, intangible mais que nous reconnaissons possiblement comme l’état d’un homme, de plusieurs ou de tous, le Suspens. Pas de transition vers un futur possible, pas d’étape intermédiaire, non, cet état En Suspens évoque plutôt les notions de blocage et de répétition d’un même cycle, à l’infini : ne plus savoir où se diriger, ne pas trouver sa place, avoir un statut indistinct, flou, précaire, répéter des gestes dénués de sens, de finalité. Souvent assimilé à la paralysie ou à la sidération, le suspens force à s’adapter constamment, sans répit, sans trêve. La menace se précise et le temps paraît compté. Ce n’est pas une lutte pour s’affranchir de la temporalité, mais une lutte pour s’y inscrire. Insaisissable, le suspens est aussi ce contre quoi l’image vient buter. Comment en exprimer la matière, la réalité ? Comment représenter l’homme en suspens en train de s’effacer dans une multitude d’images ou une obsolescence immédiate de ces images ?
Ce chemin de croix décliné en 14 stations (to station!) on l'a parcouru, pour vous faire voir de plus près comment (ne pas) être au monde et le voir comme une fatalité ou un ressentiment, a fortiori une mise à l'écart intempestive… Mais le questionnement reste : quelle attitude adopter vis à vis de ce monde décrit - si artistiquement- en 14 postures ?
Depuis la fin des années 70, avec le rejet du politique (envisagé/vécu) par/pour tous, c'est à croire qu'un voile d'obscurantisme s'est posé sur le monde qui rétrécit de jour en jour, à ne parler que d'une seule voix dite La Voix de son maître … Les infos circulent à la vitesse de la lumière et se dispersent, jusqu'à plus n'avoir la moindre valeur tout étant égales au prochain discours à venir; une catastrophe nucléaire étant équivalente à la question de l'héritage de Johnny Hallyday, un Tweet de Donald (Duck) Trump à la liste des courses à venir dans n'importe quel ménage d'ici ou d'ailleurs.
Le dernier exemple de ce suspens au bord du monde avec la vidéo de Bas Jan Ader; cet artiste conceptuel hollando-californien qui a travaillé de la fin des années 1960 à 1975 principalement sur des photographies et des films dans lesquels il se mettait en scène, confrontant ironiquement la vie contemporaine à certains aspects du romantisme dont le voyage spirituel et initiatique.
Il y explorait l’intensité émotionnelle de la quête d’un absolu, le danger, la chute, la disparition et l’échec. Il a disparu dans l'Atlantique en essayant, sur une coquille de noix, de rejoindre l'Irlande, en partant du Cap Cod pour réaliser son projet In Search of the Miraculous (« À la recherche du miraculeux ») est composé de trois parties qui s’étendent de 1973 à 1975. La première est une série de dix-huit photographies prises de nuit, au cours d’errances dans les collines de Los Angeles et associées à des textes écrits à la main tels que « and I am searching ». La suite consiste en une traversée de l’Atlantique en solitaire, dans un des plus petits bateaux utilisé pour ce genre de performance. Au moment du départ de l’artiste de Cap Cod, un chœur entonne des chansons de marins dans son atelier à Los Angeles. Un chœur était prévu aussi pour son arrivée en Europe, mais Bas Jan Ader disparut en mer et son bateau fut retrouvé dix mois plus tard au large de l’Irlande. Son œuvre fut redécouverte dans les années 1990 et est depuis régulièrement exposée.
L'œuvre de 1972 présentée au BAL s'intitule : Untitled/Tea Party. L'artiste y rampe dans une clairière, en direction d'un carton tenu ouvert à l'aide d'une ranche. Tandis qu'il pratique le rituel du teatime en costume trois pièces, la branche qui maintient le carton se détache, le faisant disparaître. Parabole sur l'évolution de l'humanité et la vulnérabilité de l'individu piégé par les mirages de la civilisation. La vidéo qu'on vous propose illustre un de ses thèmes favoris, la chute (et salut à Mark E. Smith)…
Si le vivant, comme nous le croyons, est toujours politique dans sa manière de se vivre et de se déterminer, il va bien falloir l'entendre et le faire comprendre à ceux qui l'ont oublié, et se trouvent désarmés face à ses situations suspensives. Kierkegaard affirmait " le désespoir n'est que le moindre de nos maux", la suite logique d'une telle pensée serait de comprendre que l'action personnelle, la lutte au quotidien pour remettre de la couleur dans la grisaille peut être un premier pas.
Envisagez vous-même la suite … à ne plus se complaire dans la réaction (vis à vis de ces situations), on peut recommencer, pas à pas, à vouloir décrypter, analyser, trier, choisir… agir, vivre ?
Jean-Pierre Simard le 16/02/18
Exposition collective En Suspens 6 & 7/7 -> 13/05/18
Le BAL 6, impasse de la Défense 75018 Paris