La Villa Argentina d'Arunà Canevascini
Dans sa série Villa Argentina, Arunà Canevascini questionne féminité, domesticité et migration en composant des images très élaborées où se mêlent environnements familiers, histoire de l'art et récit familial. Comme la rencontre, sur une table de dissection, d'un parapluie et d'une machine à coudre.
La série Villa Argentina est une exploration de la relation qu’entretient Arunà Canevascini avec sa mère, ayant pour décor leur maison de famille dans le sud de la Suisse. Sa mère est une artiste iranienne. Elle a vécu une enfance solitaire à Téhéran et a, d’une certaine manière, reproduit cet isolement dans sa vie d’adulte. La Villa Argentina est ici la scène d’un univers poétique, et d’un décor spécifiquement mis en oeuvre pour l’objectif de la photographe. Dans ce contexte de solitude à deux, cette oeuvre explore différents enjeux tels que la vie de famille, la féminité et les frontières sexuelles.
“J'ai toujours navigué entre deux mondes, le suisse et l'iranien" déclarait Canevascini à FotoRoom . “Je n'ai jamais vraiment connu l'Iran, même si je me suis familiarisée indirectement avec sa culture qui résonne en moi, seulement comme un écho. Mais j'ai essayé d'en restituer des aspects dans mes clichés; c'est flagrant sur la photo où l'on aperçoit des théières dans les arbre, qui pour moi symbolise l'Iran, en termes d'exil et de migration."
Une autre image, Odalisque with a Pot, montre sa mère nue allongée sur un canapé avec un faitout sur la tête. Elle combine l'usage privé - en opposition à domestique - que Canevascini fait des objets du quotidien dans l'espace. En dehors de l'usage des tentures, le clin d'œil surréaliste est assez appuyé à La Grande Odalisque d'Ingres.
L'intérêt de Canevascini pour le corps féminin a déjà été l'objet du livre Chimères où elle utilisait systématiquement les double-pages pour fusionner des éléments corporels de plusieurs femmes pour créer un nouvel objet photographique. Sa façon à elle, dans un monde d'hommes de projeter un autre feeling, plus féminin à ce propos : “Les nus de femme ont toujours fait l'objet d'attention de la part des hommes et j'avais envie de donner mon point de vue, avec un regard autre, strictement féminin."
“Mon but avec Chimères était de créer des corps de femmes qui soient en même temps érotiques, avec un côté dark et répulsif, pour créer un choc à l'intérieur de la même image. J'ai ensuite assemblé les images imprimées et les ai associées pour en faire une brochure de différentes parties de corps et créer de nouveaux genres de corps.”
Cette combinaison à couches multiples, se retrouve dans le propos de Villa Argentina, sous une autre forme, travaillé autrement.
Jean-Pierre Simard le 22/01/18
Villa Argentina d'Arunà Canevascini vient de remporter le Dummy Book Awards
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