Faire le point sur le I d'Azimut chez Tendance Floue
Au I d’Azimut chez Tendance Floue, le sujet de ce troisième opus est en quelques points ce I. Vice ou vertu, le I est rouge selon Rimbaud, le I de l’Oulipo, petites mathématiques du hasard… mais surtout I de Magie.
Il faudrait voir et entendre le I d’ivresse, d’Ire, d’Ironie, d’Idylle, d’Igné digne, d’Ils, d’Image, d’Illusion, d’Ilote, d’Imagination, d’Imager, d’Immense et Imparfait Impatient, Impérial I Impie, voué à l’ Impossible Imprévu, Impertinent, Imprudent Imprimeur des rêves impulsifs, etc… d’y relever le i final de Cri, d ‘Ici, ou des 15339 (ou 49939 selon) mots de la langue française se terminant par I. (en comptant tout de même tous les verbes conjugués )… et approcher les 13453 mots dont il est la première lettre. Mille et une rimes en I.
Ce travail sur la langue me fait penser depuis le A à l’Oulipo et ses oulipiens, une parenté s’affirme au fil des numéros avec les azimutés, du fait que tout un territoire est parcouru, vécu, éprouvé, poétisé, donné en partage, ouvert à la création, à l’image, à l’imagination, aux écritures sur au moins trois niveaux, scriptural et photographique, puis avec l’édition, graphique et, fin de la faim, lancé poétiquement avec joies et provocations à la rubiconde attention des vivants…
L’esprit voyageur a donc ici un corps qui pense et qui marche, qui s’épuise et se trouve, parcourt le pays. Dans ce numéro I, de Guéret à Livinhac-le-Haut, soit, du km 1413 au km 1926, 513 kms parcourus de la Creuse à l’Aveyron, de la Nouvelle Aquitaine à l’Occitanie, du 20 Mai au 28 Juin, par cinq photographes dont on retrouve ici les traces enchantées .
Tout ce I, O(h), U(Hue) là – Molière et monsieur Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme, questions de poésie, de langues et de langages – est une interjection, un démarrage, une mise en bouche, une mise en Jambe . Patrick Tourneboeuf a passé le témoin à Flore-Aël-Surun sur le plateau de Millevaches, celle ci s’avance dans la forêt magique de son enfance, celle des contes et des farfadets. elle écrit: « Je me sens au bout du monde, avec moi même, cherchant mon chemin » et d’évoquer les esprits invisibles qui peuplent les forêts de pins Douglas, de dialoguer avec la vie secrète des arbres et de photographier les esprits nocturnes pris aux branches, devant le miroir d’une rivière. Ainsi paraissent les formes mugissantes et silencieuses des corps fait de branchages, aux longs bras noueux, semblant marcher à la recherche de leur ombre, dans une solitude d’avant le temps, miracles issus des contes fantastiques, un corps à corps invisible. Certains yeux scrutent la voyageuse, un tumulus de pierre, tombeau d’un gisant de l’ordre de Jérusalem la retient malgré elle. Un dialogue se fait dans l’Immémorial présence des habitants de la forêt. Ne sommes nous pas au coeur d’un vrai conte, une saveur en émane, l’interrogation en profondeur de cette part d’enfance lue par la nuit en chacun, fait oeuvre, et si l’esprit poétique de cet onirisme métaphysique n’était que propensions aux rêves de soi, anthropologiques, une lumière antique en nous, flamme vacillante des ancêtres et chamans. Ici le songe double la nuit. Christian Bobin cité écrit « … et la beauté parfois nous brûle comme une branche basse giflant notre visage. » Pour répondre à cette forêt habitée, Flore ouvre en elle la part mystérieuse qui éveille, gifle et caresse, morsure et baiser, une conscience ignée s’éprend du marcheur par l’initiatique chemin qu’il ouvre en lui, au delà de la persona, dans sa contribution avérée et sue, bue à pleine respiration par le corps, tout entier voué à cette lecture enchanteresse et fantastique.
Mais voilà que le relais est passé aux grévistes Mat Jacob et José Chidlovsky, célébrations de 68, nous sommes le 31 mai. C’est la grève, l’insurrection, les communiqués, le décret, l’arrêt de la marche est voté à l’unanimité, s’ensuit une mise en scène avec un rituel tout païen et drôle. L’abécédaire qui suit pourrait s’accorder a l’oulipienne tradition, l’insurrection visuelle établit des barricades de bois, regarde un champ de bataille dans une forêt rasée, tout cela est propice aux dé-lectures, à l’insurrection de la langue, l’abécédaire de l’OUPAS devient une mécanique, une rhétorique insistante et nerveuse, le Oupas s’inscrit dans le voyage par la volonté du peuple, Gavroche s’empare de la marche statique, cette marche inerte en forme de Voyage Immobile. L’OUPAS se source à Rimbaud et Bartleby, Deleuze et se termine en Z comme Zéro. Il y a zéro pas-de- porte dans une habitation à OUPAS pour l’unique raison que leur domicile n’a pas de porte, comme sur terre il y a, tout compte fait zéro étranger « Halte, camarade, on ne passe pas, on trépasse, Ou pas.» To be or to be pas clôt la cession du témoin qui passe à brûle pourpoint chez Kourtney Roy.
Le I de Merci donne à ce troisième chapitre une correspondance certaine, troisième voyelle de l’alphabet, écrit le I de photographie, d’ I-Mage et de Mage-I-e, inversions de la langue toujours trop sollicitée, mais qui prend ici un relief particulier. La Belle Kourtney Roy sera la princesse évanouie au regret de Pascal Dolémieux, inspiratrice et manquante, présence espérée pendant les 9 jours. Il se fera mordre par la canicule – retournement, la petite chienne littéralement « canicula » est devenue une maîtresse douloureuse – la chaleur jovienne s’accompagne d’orages, Pascal Dolémieux photographie un cercle issu du goudron des routes, roue de la fortune, petite lune abstraite et pleine, soleil clair de la mélancolie, comme autant de solitudes, espérant qu’apparaisse une silhouette identique à la belle disparue, là, à la croisée des chemins, fantasme solaire ou lunaire…
….et si Kourtney après tout était double, une pointe d’imagination façonne cette question, rétrospectivement introduite au moins sur deux des chapitres, présence rémanente au corps désirant du photographe, présence tutélaire et fantasmée de la belle photographe au double changeant… elle qui se met en scène dans une « geste » très hitchkockienne, jeux des apparences, personnages muets mimant une histoire dans l’ histoire, changement de caractères, de personnages, historiettes mues par le seul plaisir de se saisir dans ce reflet, épreuves du miroir féminin.
De l’autre côté du miroir photographique se met en place une auto-fiction charmante, marque de légèreté, image démultipliée de femmes, différentes et semblables. Kourtney y interprète différents personnages imaginaires. Photographie trop polie pout être honnête, le charmant visage lisse qui se donne au regard, un poil mode, est une question où une forme de nonsense britannique organise une déréalisation, un jeu. Voilà Kourtney, rousse, blonde platine, petite robe années 60, très sage, empruntant son décor au village traversé; sortir d’ un trou creusé dans la chaussée par les services communaux pour reprendre des canalisations, se hisser sur un mur, fumer une cigarette devant un arbuste au sortir d’un parking qu’on devine, prendre la pose des starlettes de TV à L.A. dans un coin de jardin très in et en contrepoint, se saisir d’un Polaroïd, brandi, face caméra, bras nus, intensité de la pose, construction d’une attitude et d’une attente, Kourtney joue le fantôme de la liberté et la résurgence polie de personnages issus de sa fantasmatique. Rêves en actes.
Qui ou que photographie-t-elle hors champ, délicieusement, comme si le spectateur se trouvait pris au piège d’un miroir sans tain, devant elle, sur cette route, dans l’été meurtrier et puissant, amoureuse de la beauté rouge, comme un I ….une érotique traverse la semblance et le jeu des expositions de soi comme personnages, du miroir qui bascule un aveu s’écrit sur la surface sensible.
Quant à Michel Bousquet, le soleil de Georges Braque accompagne sa marche et nous plonge dans une délicieuse tension intellectuelle. « Il n’y a que celui qui sait ce qu’il veut qui se trompe…..c’est le détail qui fait vivre et qui distrait…… Le vase donne une forme au vide comme la musique au silence… » et enfin, ce qui constitue une pensée « … il faut choisir: une chose ne peut être à la fois vraie et vraisemblable. » de l’ordre du choix et du deuil. Un marcheur se lit au fil du pas, il sait qu’en lui remonte le flux de ce qui l’inspire, de ce qui le lit, le lie à lui même, de ce qui parle en son silence profond. Plus que voir, le I programme l’écoute des échos de la profondeur et le sonde. C’est en soi un autre voyage qui commence….
Il faut absolument découvrir par vous-même la suite de cette aventure, faite de chapitres ou chacun, dans sa juste pratique évoque les rencontres, les « bugs » du hasard et le hasard lui même, le temps, tout élément qui entre dans la composition du pays voyagé pour aborder sur la rive marquante, que sera le prochain M d Azimut. La série qui s’est construite est assez poignante pour faire que le lecteur désire toujours l’apparition d’une suite, aux salves du pas des marcheurs, dans la scansion du chemin et l’aplat du temps. Azimut, azimut, azimut, pour les azimut-és, tout est azimut, enfin tout de même, de quoi être assez fier….une harmonie s’est construite à travers chaque contribution, étonnante dans ses diversités, enrichissante pour toute une communauté. Il ne vous appartient que d’y entrer, une porte s’est ouverte par le I…
Cette publication retrace la route de cinq photographes dans le cadre du projet Azimut – Flore-Aël Surun, Mat Jacob accompagné de José Chidlovsky, Kourtney Roy, Pascal Dolémieux et Michel Bousquet – de Guéret à Livinhac-Le-Haut.
64 pages, 215 x 325 mm
Impression numérique
Direction de la publication : Tendance Floue
Conception graphique : Justine Fournier
Coordination textes : Cécile Cazenave
Pascal Therme le 12/01/18
I d’Azimut, éditions Tendance Floue
Pascal Therme est photographe professionnel de reportages, il vit et travaille à Paris.