L'AUTRE QUOTIDIEN

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Tania Bruguera : fin de partie sur un échafaudage cubain

L'ouverture politique cubaine n'étant qu'un fait récent, longtemps les artistes ont du emprunter des chemins détournés pour faire œuvre et faire sens. C'est ainsi que Tania Bruguera, avec toutes les ressources en sa possession (plasticienne, performeuse et artiviste), s’est attachée à écrire sa propre histoire de Cuba, en des termes libres, basés sur  les mots de Beckett avec un Endgame (Fin de partie) dont le titre fait foi.

Les performances de Tania Bruguera explorent les liens entre art, engagement politique et mutations sociales, tout en cherchant à abolir la distance entre l’art et la vie. Débordant les cadres formels de l’art performatif, ses travaux comptent autant de projets solos que d'événements participatifs conçus à partir de ses propres observations, expériences et interprétations des politiques de répression et de contrôle. Ici,  son Endgame mixe le scénographie du Dépeupleur à celle de Fin de Partie, en invitant les spectateurs à s'installer sur un gigantesque échafaudage, dont il faudra déchirer les bâches plastiques intérieures pour regarder la pièce jouée en contrebas. 

Longtemps, Tania Bruguera s'est exprimée au croisement des arts plastiques et de la performance, pour écrire sa propre histoire de Cuba. Donner la parole plutôt que la prendre, tel était son souci quand elle invitait des anonymes à s’installer au micro sur l’emblématique place de la Révolution. Le gouvernement cubain ne laissa pas faire, mais Tania Bruguera n’en resta pas là : en 2015, elle fonde à La Havane l’Institut d’Artivisme Hannah Arendt, souligne le besoin d’une « campagne d’alphabétisation civique » pour regagner une liberté d’expression perdue. En choisissant de porter sur scène la pièce Endgame, elle renoue avec les mots. Des mots qui sont aussi ceux de la tyrannie : « Je te donnerai juste assez pour t’empêcher de mourir », lance Hamm à Clov. Il y a une dizaine d’années, les mots de Beckett lui avaient inspiré une série d’installations rassemblées sous le titre Study for Endgame. Cette fois, l’artiviste prend le texte à bras le corps et lui donne voix. Endgame s’ouvre sur des mots programmatiques : « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. » À présent, c’est elle qui joue.

À l’origine du concept d’ « art utile », Tania Bruguera conçoit l’art comme un moyen de répondre aux problèmes socio-politiques de notre époque. Ses activités artistiques comprennent des projets sur le long-terme, réalisés en collaboration avec des centres communautaires, des partis politiques engagés pour les droits des immigrés, mais aussi une école d’art comportemental. En 2013, elle est invitée en tant qu’experte pour participer aux réflexions sur la question de la liberté artistique au sein du Haut Commissariat des Nations Unis pour les Droits de l’Homme. Elle est également membre du groupe fondateur du mouvement Occupy Wall Street et a participé à la création du Immigrant Movement International à La Havane et New York. De quoi revenir directement à la mise en scène des Ham, Clov, Nagg et Nell, ces quatre héros qui vous parlent en direct de la fin d'un monde. Et peut-être des raisons de ce qui l'a poussé là… 

Maxime Duchamps le 22/09/17

Endgame de Samuel Beckett, mise en scène et scénographie Tania Bruguera 22/09 au 1/10/17 Nanterre-Amandiers, centre dramatique national : 7 avenue Pablo Picasso
92000 Nanterre
RER A Nanterre-Préfecture, sortie Carillon
Navette gratuite avant et après les spectacles