L’incarcération volontaire d'Entrez libre…
Tu entends le bruit du verrou. La porte de ta cellule s’ouvre, c’est l’heure de la promenade. Tu connais la cour par cœur mais malgré tout, tu envisages d’y aller, car cette heure à l’air libre entre les barbelés te change les idées.
Rien à foutre de ces murs, toi, tu es dehors, tu entends grouiller la ville. La maison d’arrêt est en plein centre, et il est plus facile d’imaginer la vie dehors, de l’autre côté, lorsque tu écoutes si bien les bruits qu’elle fait.
Que savons-nous réellement des prisons ?
De l’enfermement ?
De cette vie, dans la vie, privé de liberté ?
Pouvons-nous y préserver la dignité ?
Quelles images s’imposent à ceux qui sont enfermés ?
Comment vit-on en prison ?
Autant de questions auxquelles le collectif d’artistes Pick Up Production tente de répondre avec une exposition en forme de performance street art, avec une installation, hybride, riche et éphémère, qui permet de pénétrer non seulement l’enceinte carcérale méconnue, mais plus fortement, de nous renvoyer - au travers des œuvres - une ambiance inclusive, étouffante et particulièrement éprouvante physiquement.
C’est une épreuve, mais salutaire, une épreuve saine, au travers des dispositifs de recouvrement, soit par la peinture murale, soit par du papier ou autre matière, soit par le travail sur vitre, l’opacité, voire l’obstruction; tous moyens de fermer peu à peu tout espoir d’ouverture, de réouverture des possibles.
Au-delà de l’esthétique qui fait mouche, des œuvres graphiques particulièrement riches et porteuses d’expérience sensorielle, la déambulation difficile rend réelle ce que signifie l’incarcération. Une promiscuité obligée (ici avec un nombre de visiteurs très dense venu voir ce qu’est une prison), des frottements de corps, des absences de perspectives, des vues occultés, des sensations à fleur de peau, une âpreté des lieux, une âpreté de vie.
La réussite de l’exposition tient à ce qu’elle nous renvoie en pleine figure une réflexion sur les prisons, et sur notre système carcéral, sur ses limites, sur ses échecs et surtout rend audible, visible, tangible, la vie de ceux que l’on prive de liberté.
L’occasion de lire le manifeste de Catherine Baker affiché sur les murs, disponible ici :http://abolition.prisons.free.fr/manifeste.html
Il y a chez le collectif d’artistes invités (vous trouverez la liste ici http://www.pickup-prod.com/projets/4092/), une belle volonté d’ouvrir la prison de façon symbolique, en nous obligeant à reproduire ce que ferait un prisonnier, comme regarder au ciel, regarder au loin et tomber sur les murs, puis regarder au ciel de nouveau (lorsque l’on est à l’extérieur), le travail reproduit sur les kakémonos de Katjastroph accrochés sur les murs qui nous font front dès l’entrée sont non seulement magnifiques, mais ont cette double fonction de nous obliger à prendre de la distance pour en saisir la grandeur et l’étendue, comme une évasion par le regard et de nous retrouver dans une position contemplative.
C’est une pesanteur et une approche bienveillante par l’expérience esthétique, d'une forme de malaise de ce dégage la beauté carcérale éphémère. Comme l’est l’exposition, puisque la maison d’arrêt disparaîtra ensuite pour laisser place à une forme de vie plus libre, une reconversion « à dominante d’habitations », quoique devenir propriétaire dans un centre ville d’un très bel appartement dans une des villes les plus côté de France, n'est pas ce qu’on pourrait qualifier d’expression idéale de la liberté. Mais c’est un autre sujet.
Entrez libre ou l’incarcération volontaire
Le Voyages à Nantes épisode 2 par Richard Manière le 27/07/17