Arles 2017 : DUST OFF !
Les Rencontres internationales de la photographie d'Arles ont pris depuis longtemps la première place des festivals dédiés à la photographie, elles constituent un moment important pour les photographes, collectifs, galeries. Rencontrer ces acteurs, c’est parler du corps de la belle arlésienne. Le Collectif éphémère DUST créé, pour Arles, cette année, exposait au 31 rue de l'Hôtel de ville jusqu’au 9 Juillet, partie du OFF, Cinq séries, cinq photographes: Bérangère Fromont, Andrea Graziosi, Clément Paradis, Benoit Chailleux, Piergiorgio Casotti.
Andrea Graziosi et Clément Paradis, à l’origine du collectif, travaillent ensemble régulièrement, échangent autour de la photographie à établir un réseau de discussions, d’aides à la création et de réflexions conceptuelles, comme d’ordre politique.
Pour Dust, les séries sont conçues comme des expressions libres, les photographes sont totalement indépendants et autonomes financièrement. Leurs échanges s'attellent à de nouvelles manières de présenter leurs travaux.
Clément Paradis DUST in.
Pour Dust, Clément Paradis se conçoit comme un producteur d’images situant sa production en relation avec le flux général des images diffusées au quotidien. « Les images que nous produisons ici font référence à nos quotidiens et aux traces qui en sont issues. Mon travail est constitué de photographies subjectives assumées qui se rapprochent d’une forme vivante de mise en scène. Celle ci résulte de la dialectique entre ma production, un photographe et le déluge de signes produits par la « civilisation » dans laquelle je vis. ».
Pour son travail, le montage au sens filmique reprend cette disposition psychologique et politique, une forme de recyclage en boucle d’un témoignage sur les thèmes de l’intime dans ses relations avec les grands espaces urbains. OMEN, nom d’une de ses séries, traduction en grec du mot Présages, présente Tokyo sous l’influence du regard de William Klein…. c’est une liquidation de l’héritage personnel, une liquéfaction des images d’hier dans celles d’aujourd’hui, œuvres polymorphes d’un changement permanent qui encense le flux, comme un sang nouveau… Tout passe, tout se transforme, ce qui était là hier a disparu, apparaissent d’autres images, Clément Paradis reformule en permanence et retranscrit en continu ce qui apparaît et disparaît… tout est donc conforme à l’esprit DUST.
DUST ET LA PÉRENNITÉ, INSCRIPTION DANS LE TEMPS.
Dust a pour vocation de disparaître, poussière arlésienne vouée à devenir poussière des déserts, finalités confrontées à la disparition de toutes les images. Une grande partie de cette exposition sera détruite, en cela fidèle à la volonté de programmer la disparition comme un temps personnel, (nous sommes tous voués à disparaître, à retourner à la poussière).» C’est une façon également de réintroduire du sacré… "L’image a pour nous, une charge spirituelle plus que métaphysique. Elle est le témoignage d’une forme d’esprit qu’on doit chercher dans la Nature… L’image est soumise à une sorte d’Ultimatum et d’enjeu: soit elle essaie de matérialiser l’Invisible, soit elle essaye de liquider la part du trop visible en le ramenant aux deux dimensions… constate Clément Paradis, une histoire d’enfers et de paradis.
« Nous jouissons de l’immense réserve érotique que représente chaque ville, quand on met des corps humains ensemble, l’Eros est permanent et les possibilités de jouissance sont identiques à la jouissance des images. Et en même un temps un mouvement inexorable se crée….. » et j’ajouterai qu’ÉROS et ANTÉROS se complètent, Plus qu'EROS et THANATOS…n’œuvrent au final, bien qu’en Dust se résume le fin de toute chose. Complétude du cycle.
LES COÛTS D’UNE EXPOSITION AUTO-FINANCÉE.
Objectivement, le budget général de l’expo est de 7 000 €, comprenant la location du lieu pour 10 jours, et une partie du cout des tirages et du coût d’installation et de communication, affiches cartes, foyers, vernissages, petits événements; sans compter nos hébergements, intendances, voyages, tirages. Le coût par photographe avoisine les 2000 €.
Logiques DUST et invitations
Dust a décidé d’inviter les éditions italiennes AVARIE, Giuliana Prucca avec 3 livres:
Position(s) d’Antoine d’Agata, (2012)
I do not want to disappear/silently into the night de Katrien de Blauwer ,
From Static oblivion d'Ion Grigorescu
La production et le tirage offset varie en général de 500 a 1000 ex, ce sont des livres d’artistes, extrêmement bien conçus et de beaux livres dans le sens où les textes sont en harmonie avec une maquette où le graphisme rehausse le texte en relation avec l’œuvre. GiulianaPrucca est totalement autonome, elle assume le design, la maquette, le suivi de l’impression, la production et la communication, curatrice autant qu'éditrice, elle conduit ce travail de bout en bout. Ces éditions au profil graphique soigné, au choix éditorial approprié, inscrivent une modalité artistique complètement assumée et revendiquée.
Piergiorgio Casoti
Piergiorgio Casoti présente cinq grands tirages Noir et blanc, très purs, à la beauté intérieure assez sèche, portraits de « grands pères et vues des pans de montagne, d’un chalet, assez précis, cinq images et un texte concentrent une histoire sur deux niveaux: les relations entre l’image et la mémoire.
Dans les hauteurs des Apennins, sa région d’origine, là où il vit, les villages disparaissent et la mémoire de l’histoire également. L’histoire présente mais aussi l’histoire future. La région a subi une exode rural conséquent, si bien que ces villages sont désertifiés, ne restent que des personnes âgées. La question de départ de la série dont ici peu d’images sont exposées, est: que va t il rester de la mémoire des lieux et des personnes, si rien n’est fait, si aucune sociologie, aucune étude n’est entreprise. Nous sommes dit il devant une disparition programmée et une perte de mémoire générale, civilisationnelle. C’est pourquoi Piergiorgio Casoti a commencé toute une série de portraits dans ces villages et photographié environ 150 personnes vivant à l’année dans ces villages, hameaux, devrait-on dire plus justement, de moins de 20 habitants.
"J’ai voulu créer une archive visuelle de tous ces gens et j’ai voulu photographié le concept du Silence, donc les paysages a travers les pans des montagnes, le côté brut. et sévère fait des rocs millénaires et ce silence qui en résulte, qui recouvre le pays. Une contradiction semble se formuler entre un silence bon pour soi et un silence imposé par les désertifications, subi, les enfants ne vivent plus dans ces hameaux, le silence de la disparition planent…"
Piergiorgio Casotti précise: « Mes photographies sont issues d’une volonté documentaire mais elles prennent en charge l’expression des corps dans leur rapport a la lumière, la présence, la vie. IL y a une interprétation. Le titre du texte qui accompagne la série s’intitule « where does the white (la couleur) go? » c’est une question, le blanc symbolise la mémoire et donc j’ai demandé à deux écrivains d’écrire une fiction sur la vie de ces gens , mais avec une part de faits avérés… » Quand ces gens vont disparaitre, leur vie avec eux, ce sont mes textes qui présenteront leur mémoire dans cette implication avec la vérité de la fiction, et cette provocation, que si rien n’est fait, d’un point de vue historique, c’est bien une interprétation qui prend la place de l’Histoire. » Peut on tout écrire, tout ré-écrire?
Andrea Graziosi
Il a élu domicile à Marseille et s’empare des collines, paysages, habitants aux confins de la nuit et du visible pour vouloir renouveler le visible du chant qui semble l’habiter et le rendre aux yeux sensibles, mais du lointain point qui traverse le rêve, quand celui ci éveille le jour. Andrea semble avoir inversé les polarités du vivre et du photographier.
Ci sono notti che non accadono mai
Il y a des nuits qui n’adviennent jamais, des nuits vagues, palpitantes, irrésolues, qui nous invitent au voyage. C’est dans ces nuits-là qu’Andrea Graziosi mène ses enquêtes des états du réel et de l’irréel, du conscient et de l’inconscient. Comme en songe, il plonge les lieux et les rencontres dans une dimension onirique, voir hallucinatoire, et enregistre ses visions, ses angoisses, ses vertiges. La lumière aux teintes vert bleuté (les couleurs des rêves ?), les nuances des ombres et des contrastes, l’importance de l’imperceptible et du hors cadre, le jeu entre le statique et le dynamique : tout conflue en une série énigmatique et indéfinie, suivant le fil rouge d’une peinture à l’atmosphère métaphysique. L’émotion esthétique du photographe met à nu la vulnérabilité des individus et fixe des situations inachevées. Les images d'Andrea Graziosi éveillent un sentiment d’attente, comme un film à suspense, dont elles pourraient être les fragments. Elles nous font basculer à la frontière labile qui sépare les mondes du connu et de l’inconnu, de la matière et de l’esprit. Au bord de la chute, le regard se retient aux liens reconstitués dans la prise de vue. (Texte de Silvia Mattei)
Benoît Chailleux
Benoît Chailleux expose trois assemblages d’images qui pour ont sujet la Loire à Nantes, territoire linéaire en mutation, aux parties de zone péri urbaines, fait de lieux délaissés, dont certains se situent aussi en centre-ville. Il n’y plus d’activités portuaires à Nantes, d’où l ’intérêt de parcourir ces zones entre deux destins, qui ne sont plus ce qu’elles ont été fonctionnellement, et qui n’ont pas muté, sous l’impulsion des réaménagements. Elles s’étendent donc dans un abandon certain, déréalisant et quasi poétique, onirique, dans les brouillards d’hiver, à la saison lente.
« Je suis architecte et je photographie des lieux qui ne sont conçus par des architectes, d’où ces lieux en transition, poésie de l’éphémère hors de la fonctionnalité, qui s’échappent et qui peuvent avoir un autre statut d’ordre imaginaire… ». Les photos sont faites en hiver, la brume déréalise, hiver, printemps, deux saisons propices à son inspiration.
« J ‘ai en mémoire les missions de la Datar. Ayant utilisé la photographie pendant mes études d’architecture, hier encore j’appréhendais ma photographie selon un axe de pénétration des villes, partant de l’extérieur, vers l’intérieur, aujourd’hui tout est plus latéral, je glisse au fil de la Loire pour découvrir des lieux qui échappent à eux même. Peut-être peut-on y voir une forme de séduction. Clément m’a invité, ayant publié dans sa revue Time Show, et a renouvelé sa confiance…. Je suis donc là avec Dust. »