Tristan Macé est un déjoueur de bandonéon
Dans mes rencontres avec les musiciens, il y a des hasards.Les hasards et les rencontres, font souvent des grandes histoires.
Nous prenons rendez-vous dans le cadre de notre micro-maison d’édition, avec ce musicien que nous ne connaissons pas, par l’intermédiaire d’un ami commun, ingénieur du son (nous enregistrons dans le même studio).
Quartier nord de Paris, un soir, devant un thé, Tristan Macé nous confie son double album pour écoute, quelques lignes d’une histoire et cette magnifique phrase : Voyons si la rencontre artistique a lieu !
Nous avions écouté, ce que le bonhomme faisait dans le genre « bandonéon ». Avec tout les a priori et les idées musicales préconçues que l’on peut avoir sur la pratique d’un tel instrument connoté, nous imaginions tout et son contraire. Cela ne dure jamais. L’instant de l’écoute fait tout oublier. Toutes les images, tous les paysages, tous les stéréotypes, tous les pas de danse en robe fendue aux jambes nues d’une érotisme combatif volent en éclat.
Et pourtant, nous ne sommes pas loin d’un combat, d’une engagement, total, d’un arrachement à soi pour mieux se jeter dans la musique et dans la pratique, ce qui n’est pas sans rappeler cette danse argentine et sa musique.
Lorsqu’au retour, nous nous jetons sur les fichiers du double album, nous sommes face à une évidence… Ensimismado (c’est son nom) est l’album d’un solo d’un grand musicien qui se raconte dans, dedans son instrument, il respire à travers le soufflet de celui-ci, comme Coltrane le fait à travers le sien. Coltrane, une de ses références.
Ensimismado, solo de bandonéon, à été enregistré en 48 heures, dans un dispositif particulier, où chez lui, seul, il a préparé avec Léonard Mule, ingénieur du son et musicien du Studio Le Poisson Barbu à quelques mètres, une pièce dédiée au jeu du bandonéon. Il enregistrera entre 6 à 8 heures de jeu, combat « à bras le corps » avec son instrument. Le bandonéon est très physique et réclame un engagement total, loin de l’académisme, sa posture particulière, soufflet sur une cuisse, (son unique professeur Olivier Manoury lui dira que le plus important n’est pas la position, mais SA POSITION), il tempête, tempeste, contre les temps de ce monde qui empêche l’introspection, ivre de sollicitations, qui vous fait oublier l’essentiel, l’essence de votre vie, l’extase qu’elle pourrait vous offrir, si seulement on prenait le temps.
La musique serait la clé de cette extase à la Georges Bataille, ce qu’il resterait de sacré dans un monde qui s’est vendu aux éphémères joies des plaisirs consuméristes.
Et j’affirme que les 25 pièces composant ce solo vous y fait parvenir sans effort. Une invitation à un jeu de pistes, effet de miroir, entres les deux parties, aux titres semblables en apparence, empruntant à Chopin, préludes, nocturnes et autres études, pour être l’expérimentateur de son instrument, une pratique inédite en son temps.
L’improvisation devient alors une écriture en soi, lorsqu’il a fallu choisir et ne garder que une heure trente environ des 4 h 30 préalablement enregistré au bord de l’épuisement, performance de soliste, isolé, dans un appartement mi-juillet.
Tristan Macé à écrit quelque lignes sur un personnage, son double, son autre, il s’appelle Torn, c’est lui en train de jouer, c’est nous qui l’écoutons, c’est un fantôme qui invite, repousse, embrasse, séduit, trouble les pistes, mais dirige aussi, dans une maison, (la sienne, la nôtre, une autre), labyrinthe intime mais libre, à plusieurs entrées, plusieurs sorties possibles, décloisonnant tour à tour les pièces d’un chez soi pour s’ouvrir et devenir un chez les autres généreux, enchanté. Malgré le jeu dramaturge intrinsèque au bandonéon, on ressent, une tension souvent libéré dans les fins d’études comme des aspirations à une tranquillité idéale, une sérénité retrouvée, un soupir de soulagement, comme après une angoisse exagérée dû à un rêve, heureux d’embrasser à nouveau la réalité du jour qui se lève, à moins que ce soit le contraire !
Souvent dans nos conversations, Tristan à parlé de virtuosité, j’ai eu besoin d’en savoir plus sur ce terme qui pour moi en musique, signifie une maîtrise technique, un don, un travail jusqu’au boutiste, mais finalement très éloigné de ce qui me fait avancer, me touche, me parle dans la musique.
C’est à travers son travail en trio avec Fire Works (Ugo Boscain à la clarinette contrebasse, Cyril Hernandez à la percussion) que nous aborderons cette notion de virtuosité en cassant l’image de ce mot qui n’a pas grand sens dans la musique qu’il fait.
Il préfère parler d’ailleurs de digitalité, que l’on pourrait traduire comme une dextérité, qui fait parti de l’histoire du jazz, mais qui n’est pas pour lui en ce sens propre de la « virtuosité ».
L’improvisation, est une mise en jeu. Ton savoir, tu le transformes en coup de dés. Ce jeu avec le risque, forme pour moi la virtuosité.
À trois, il se crée un équilibre entre silence et jeu. Il faut ne pas l’entendre commencer le concert ! Son silence assourdissant et le bruit du soufflet, comme un « chuuuuuttttt » somptueux et magique annonce son entrée dans la musique, dans la danse et en cela il est digne des plus grands tangueros. Dans une fierté élégante et entière, il se met à « déjouer » de son instrument. Et pour moi, en cela il est un virtuose. Tout ce qu’il sait, tout ce qu’il connait, tout ce qu’il a appris, se (dé)joue dans sa volonté de tout remettre en jeu. Dans sa volonté d’être présent. Tant en live, ce qui semble évident, mais aussi sur bandes, lorsqu’il enregistre avec tout ce qui est présent, dans l’instant, avec parfois, des erreurs, et citant Wayne Shorter, de conclure malicieux, et sérieux « ce que nous appelons erreur est en réalité un commencement ».
La musique de Tristan Macé a cela de captivant, voire d’hypnotisant, qu’elle vous accompagne, vous invite à danser un instant, peut vous faire perdre le fil et le reprendre aussitôt. Elle vous fait courir jusqu’à vous couper le souffle et quelques secondes après vous aider à le reprendre, et inspirer profondément. Ce, pour mieux savourer les dernières secondes éternelles dans un jeu frénétique où s’entendent les doigts sur les clés, la respiration du bandonéoniste comme celle de son bandonéon, en un seul souffle, une seule voix, une seule quête; celle d’un voyage dont le but ultime ne serait pas la fin d’une pièce, ou la fin d’un disque, ou la fin d’un concert… mais plutôt, la contemplation dans laquelle cette quête vous emmène à l’extase, où ce qui peut s’en approcher le plus : l’ultime plaisir d’écouter une musique essentielle.
Richard Manière le 28/06/17
Ensimismado de Tristan Macé, label La Théorie des Jeux -> 29/06/17
Concert - privé - de présentation le 29 juin à 20 h à Moments Artistiques au 41, rue de Turenne 75003 Paris, code sur demande par SMS 0663176875