Photo : La Gacilly au pas de course et pour autant…
Le festival photographique de la Gacilly en Bretagne se révèle au pas du marcheur. Trente cinq expositions dont la plupart en extérieur, développent trois thèmes : La Photographie Africaine, Homme/Animal, Le Face à Face et Enjeux environnementaux.
La Gacilly, plus grand festival photo d’Europe et du Morbihan, connait un succès renouvelé depuis sa création il y a 14 ans, avec 400 000 visiteurs dont la moitié, public conquis, revient d’année en année. Une fidélité due à la qualité de la sélection des œuvres et la richesse établie des thèmes. Le festival est totalement gratuit et emporte l’adhésion de tous les publics. Il constitue une prise de positions sur l’enjeu du développement d’un continent marqué par différents fléaux, dont le pillage de ses ressources: minerais, forêts, faunes et des conditions de survie, assez alarmantes de certaines de ses populations.
*-En témoignent Akintunde Akinleye dans « Nigeria, dans le ventre d’un géant », Brent Stirton dans « Extinctions » et Paras Chandaria par ces grands tirages montrant le rétrécissement des frontières entre jungle et ville, dans la banlieue de Nairobi, sur fond de buildings, on aperçoit une girafe, un lion aux portes de la ville. La frontière entre le monde sauvage et la ville tend à se réduire…Cette proximité devient la métaphore d’un télescopage non maîtrisé, anarchique, une urbanisation sauvage menace les territoires des animaux et perturbe les frontières, nombre d’accidents tragiques dus à cette situation endeuille les zones citées. Une frontière s’efface. Un monde absorbe l’autre…
Auguste Coudray, président de la Gacilly, Cyril Drouhet, Commissaire des expositions et Florence Drouhet, Directrice artistique, assument un engagement réel du festival, dans la dénonciation des prédations de toutes sortes menées contre le Vivant dans son ensemble et apportent un soutien indéniable à nombre de travaux exposés. Trois Des reportages, issus d’un appel à projet ont été financés par les collectivités locales et le festival, les photographes présents sont rétribués pour leur travail, toute la production, près de neuf cent tirages au final, sont pris en charge par la Gacilly. Avec un budget de fonctionnement de près de huit cent cinquante mille euros, la Gacilly honore ses engagements auprès de tous. Sous la responsabilité de Thierry Coroller, directeur de production du festival, la grande qualité des tirages, les scénographies en extérieurs, le parcours pédestre d’une exposition à l’autre, donnent d’excellentes conditions de réceptions des travaux exposés.
La photographie étant un médium puissant et universel pour témoigner à travers les reportages sans concession de grands reporters-photographes, des réalités négatives du monde, une place est faite à l’ histoire de la photographie africaine peu connue du grand public, la dénonciation des dommages causés par une économie de contrebande, pétrole, extractions de minerais, chasses en tout genre des grands fauves et mammifères africains, une photographie d’exception montre très concrètement les désastres préjudiciables à l’équilibre écologique de la planète.
Nicolas Hulot, en préfaçant le catalogue, cautionne le festival dans ses engagements et témoigne de son attachement à ce continent à la beauté royale et sombre.
« Explorer la photographie pour mieux la faire connaitre, mettre en lumière les grands enjeux environnementaux de notre époque pour mieux comprendre notre civilisation moderne et les dangers qui nous menacent: pour cette nouvelle édition, le Festival de La Gacilly reste, certes, fidèle à ses engagements artistiques et éditoriaux mais se donne pour ambition cette année de voir encore plus haut, encore plus grand, encore plus loin !…. L’Afrique noire est un eldorado photographique, le règne animal est intrinsèquement lié à celui des hommes : il est de notre devoir de les mettre en lumière ! » écrivent Cyril et Florence Drouhet.
Du côté de l’ ENGAGEMENT, un message incontournable est donné aux festivaliers : « Une photo éthique et humaniste croise les regards de photographes issus du monde de l’art et du photo-journalisme. Un festival engagé dans le développement durable. »
A suivre ce parcours on se dit que cet engagement est multi culturel et passe les frontières, un humanisme de combat rappelle à tous que, si nous sommes issus de cultures différentes, un même lien nous unit et que ce lien est la base même de notre identité conjointe, en préservant la bio diversité, la terre, le monde animal et en veillant à sa préservation, en le disputant aux entreprises particulières et industrielles, sans foi ni loi, qui prolifèrent, qu’elles soient dues aux braconnages multiples et à une sous économie de subsistance et de rapines, ou à des logiques industrielles coupables, rendues possible grâce à certains intérêts particuliers et politiques, le Festival La Gacilly, dans une volonté d’Agit-Prop fait œuvre.
Hasard du calendrier, La Gacilly s’est ouverte le jour ou un mauvais président américain tourne le dos aux accords de la Cop 21 et entend continuer à polluer au-delà de toutes mesures. C’est dire que les propos de Nicolas Hulot sont ici les bienvenus et que ce festival signe en force un retour de conscience, un devoir de porter la lumière sur ces « vérités » et « réalités », trop souvent éludées, masquées, niées. La participation attendue de plus de quatre cent mille visiteurs devrait en faire une tribune pour défendre une écologie militante et mettre en exergue un ras le bol face aux « criminels » de tout bord; qui n’ont comme seule et commune morale que de vouloir s’approprier le bien commun en le dégradant sans vergogne. C’est pourquoi, le regard s’élargit face aux multiples expositions, le cœur gronde parfois, mais une conscience se fait plus nette et plus précise, face aux enjeux du développement du continent africain. Un mot d’ordre s’en suit: STOP aux exactions, agressions, dépravations, viols de dame Nature. Nous n’avons qu’une planète, respectons-là, prenons en soin, la folie des hommes, aiguisée par les sous économies, les cupidités, les marchandages et le crime organisé, ne sont que Chaos mortifère et morbide.
Nous pouvons refuser ce monde là, certains reportages font état d’engagements personnels, indéfectibles et de héros modernes. Certains travaux exposés changent totalement le regard et portent une conscience universaliste, dont celui de Tim Flash, en portant l’attention sur la façon dont nous considérons, dans la peur le plus souvent ou, du moins dans l’absence de liens, nos proches cousins de l’évolution, les singes. Les photographies de Tim Flash, rappelle que nos différences avec le monde animal relèvent d’une construction politique et psychologique, sommes-nous si loin de ce grand singe, planté sur ses pieds, tendant la main, au regard si humain et persuasif? Qu’y a-t-il au fond du regard de celui-ci, comme des grands fauves, considérons-nous le règne animal toujours dans cette supériorité du dominant sauvage que nous sommes, n’y a-t-il pas un lien plus profond, qui nous relie au Vivant dans le rôle supposé, qui devrait être le nôtre: unité, proximité, protection, respect…?
Brent Stirton dans « Extinctions », neuf fois World Press dont celui de 2017, pour ses reportages, montre rhinocéros, gorilles, éléphants tués, mutilés, découpés, dont les cadavres abandonnés après extractions de l’ivoire pourrissent ensuite, abandonnés. Attaché à la lutte contre les braconniers, il suit les rangers dans leur traque et rend compte du tragique des situations. Photographies magnifiques et puissantes; un discours se joint à un regard, une parole, un cri nait, un roman se construit, l’exposition comporte quelques soixante images et, toutes sont importantes, témoignent, parlent. C’est un choc indispensable.
David Chancelor dans « Chasseurs » , après avoir suivi ces chasseurs sur trois ans, dénonce et s’interroge sur leurs motivations, sans trouver aucune réponse autre que le plaisir de tuer et de s’enorgueillir des trophées rapportés, dans un processus social assez banalisé, ou tuer devient un sport couteux réservés aux riches, dignes descendants des colons. Le cri devient un mot : pourquoi?
Dans la veine des grands photographes qui prennent au ras de l’image l’absolu engagement de la dénonciation, affilé a Reuters, Akintunde Akinleye expose « Nigeria, dans le ventre d’un géant ». Le photographe ne cesse de documenter l’enfer vécu par ses compatriotes nigérians quand ils « travaillent » , enfants enfouis dans la boue, tentant d’en extraire la poussière d’or, raffineries illégales, défigurant le delta du Niger, silhouette à demi nue aux prises avec un feu, bidons remplis de pétrole dangereux, déforestations, incendies, pipelines, cabanes de bois dans un paysage dévasté, homme s’essuyant le front sur fond d’incendie après explosion, 269 personnes tuées dans la banlieue de Lagos, cette image lui vaudra une renommée internationale. œuvre majeure puisqu’elle donne à voir la triste réalité de ces enfers qui semblent pourtant être monnaie courante… ouverte sur le drame des existences livrées à la survie, en pleine apocalypse, en pleine horreur. Au-delà des mots, réside ce pouvoir de la photographie de témoigner sans qu’il soit possible de nier. Nous ne pouvons que saluer le Festival et sa formidable capacité de dénonciation, ce qui fait apparaître la polémique sur l’affiche de la manifestation bien ridicule, aux regards de ce qui est pleinement exposé.
Il est impossible d’évoquer les nombreux coups de cœur qui émaillent ce grand festival où se croisent, au travers des thématiques mentionnées, des conceptions et des travaux, dont certains pourraient paraître en marge des grandes dénonciations, mais qui participent aussi de ces liens forts que chaque artiste a le courage de tisser, sur un plan plus artistique avec l’imaginaire, sorte de recréation, relectures permanentes du monde dans ses réalités. Je veux citer ici Ed Alcock, Baudoin Mouanda, Omar Victor Diop, Phil Moore, Daniel Naudé, Eric Pillot….
Je pense tout particulièrement à Emanuele Scorcelletti, qui dans « Equus« , un travail autour du cheval produit de très poétiques visuels liés à une vision fellinienne, « La Strada », l’univers du cirque, un rappel de Bunuel, d’excellentes photographies de chevaux, en noir et blanc, ou, dans un autre registre, plus historique du merveilleux travail de James Barnor, dans les Sixties, « Ever Young ».
Il est impossible également de ne pas parler du superbe travail « Le monde a neuf ans » d’Aida Muluneh, éthiopienne, sur d’immenses tirages sur bâches, qui donne à la couleur et aux thèmes du double, de la femme africaine, de l’identité, du franchissement du miroir, tout l’a-propos de ce que les grands mythes portent de conscient et d’inconscient, de représentations du Soi. Extrêmement stylisé, aux couleurs franches et symboliques, ces compositions mettent en scène une jeune femme noire en relation avec son image, qu’elle soit de dos brandissant un miroir, ou de côté, costume rouge, cravate rouge, mains bleues, coiffure afro, sur un mur au ciel bleu à la Magritte, de profil, corps alanguis…Un travail assez formellement défini par la couleur et les fonds, lignes, empruntant à la mode les poses de ses modèles pour mieux les détourner vers une forme de surréalité ou apparaissent les thèmes structurant déjà cités. Le passage du miroir et l’interrogation des peintures corporelles aux motifs répétitifs des masques et vêtements rituels africains vient porter l’interrogation sur l’identité du monde et de soi au plus haut point…
Rouge, bleu, blanc, vert, jaune et noir, couleurs franches font apparaître un monde qui aurait glisser vers plus de pertinence, de séduction et d’ intériorité. Un autre monde est-il en soi possible? Réponse apportée au festival par le secret engagement de ce côté-ci du miroir.
Y a-t-il une autre face possible au monde tel qu’il est fait, qu’il se donne, tel qu’il apparaît, peut-on le transformer, doit-on y jouer la part majeure de l’Autre. Réponse par l’artiste, de l’autre côté du miroir.
Pascal Therme le 12 juin 2017
LA PHOTOGRAPHIE AFRICAINE Akintunde Akinleye, Sammy Baloji, James Barnor, Girma Berta, Mama Casset, Jean Depara, Fatoumata Diabaté, Omar Victor Diop, François-Xavier Gbré, Hélène Jayet, Seydou Keïta, Oumar Ly, Baudoin Mouanda, Aïda Muluneh, Nyani Quarmyne, Malick Sidibé
HOMME – ANIMAL : LE FACE-A-FACE
Ed Alcock, David Chancellor, Paras Chandaria, Michel Vanden Eeckhoudt, Elliott Erwitt, Tim Flach, Rob MacInnis, Daniel Naudé, Eric Pillot, Brent Stirton, Joel Sartore, Emanuele Scorcelletti
ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX
Emmanuel Berthier, Phil Moore
Sur l’Afrique : Arthur Rimbaud
Plus sur le festival, ici-même