Journiac en gore et toujours à la MEP
Personnage-clé de la scène artistique française des années 1970 et 1980 et initiateur de l’art corporel dans l'Hexagone, Michel Journiac est enfin reconnu, plus de vingt ans après sa disparition, comme une vraie source d’inspiration pour de nombreux artistes.
L’exposition de la MEP réunit une centaine d’œuvres qui recouvrent les grandes thématiques de l’artiste : les Pièges, les Rituels, les Contrats et les Icônes. À travers une pratique protéiforme parodiant des rituels religieux ou sociaux, il s’interroge sur les jeux d’identité et remet en question la morale, la sexualité ou le sacré. C’est par la photographie qu’il conserve en grande partie les traces de ces actions, sorte de parachèvement de la démarche laissée en suspens. Ses photographies font revivre le corps, l’authentifient, lui redonnent un sens politique en y infiltrant même une mémoire collective des marges. Prophétique, son œuvre dégage une véritable énergie poétique, privilégiant l’écart, l’affût, le saut de côté, motivée par un état d’esprit totalement émancipé et libre.
Unique en son genre, Journiac avait un genre d’ailleurs bien difficile à cerner… Né en 1935, le père de l’art corporel est emporté par un cancer en 1995 et meurt dans un dernier éclat de rire en plein repas. En 1969, il signe son premier grand coup d’éclat et choque en faisant déguster son propre sang cuisiné en boudin à ses adeptes, dans une parodie de cérémonie religieuse à la galerie Templon. Figure emblématique de la scène artistique des années 1970 et 1980, Journiac aura marqué son époque d’une emprunte gorgée d’hémoglobine, lui qui aura fait de son sang son outil de travail favori – dans une époque marquée par l’épidémie du sida – à travers des performances, des installations ou des sculptures à la limite du gore pour questionner les notions de souffrance des corps ou de dons du sang.
Loin d’être un simple agitateur trash, Journiac demeure un formidable photographe et vidéaste, des disciplines grâce auxquelles il immortalisait les traces de son œuvre. L’artiste se met en scène, se déguise beaucoup – notamment en femme afin de mieux comprendre et ressentir leur vécu – et imagine des tableaux tantôt ordinaire, tantôt sépulcraux ou macabres, qui questionnent la sexualité et les jeux identitaires comme le sacré et la morale. Jean-Luc Verna s'en souviendra …
L'Action Photographique revient sur son œuvre et en rappelle la force d'un travail entièrement fait de chair. Féministe, moqueur, investi, Michel Journiac est ambivalent et échappe aux réflexions trop hâtives. Son travail est à la fois profondément drôle et habité d'une mélancolie noire ; on ne sait jamais trop sur quel pied danser, mais le ton d'une déconstruction totale des piliers de la société (par la morale, la sexualité et l'identité) est donné. Un bon shot de liberté, vertigineux et engagé. Comme un écho des années 80, entre expérimentation et tri-thérapies à venir.
Maxime Duchamps le 15/05/17
Michel Journiac - L'Action Photographique -> 18.06.2017
Maison Européenne de la Photographie - 5/7 Rue de Fourcy 75004 Paris