Pascal Therme ferme l'Emoi photographique, troisième partie

La troisième partie de cet article sur Angoulême, l’Emoi photographique, me permet de préciser, en revenant à la matière même de nombres d’excellents travaux produits et exposés par Peggy Vallaire, Directrice Artistique, que ce Festival a vocation de RÉPARER les MÉMOIRES, historique et personnelles, l’IMAGINAIRE et LE CORPS, pour exemple, atteint par l’âge, la maladie, chez Jean Michel Leligny et Jean Charles Dehedin, comme, aussi bien, les injustices faites aux tirailleurs sénégalais et celles  établies par Michel Claverie dans Tracks, ou Bruno Mercier.

L’Émoi photographique, Jean-Michel Leligny 40 ans à l’hôtel St Simon.

Jean-Michel Leligny, invité par le festival, expose une superbe série de douze portraits de femmes ayant passé la quarantaine, passant à gué cette moitié de vie dans un bilan et une parole. Un texte vient se superposer, manuscrit, sur l’image. parlant des épreuves et des chemins de vie parcourus. Les portraits sont tous réalisés en pleine nature, forêt, champs, bord de mer, rochers, collines. Ces liens entre nature et  corps féminin, dans un rapport symbolique certain, égrainent une part féconde de l’imaginaire. Un curieux décompte affiche sur le bas de l’encadrement, un chiffre, celui du nombre de jours vécus au moment de la prise de vue. Ce décompte porte en lui le nombre de jours passés, et pause une question: combien de jours restent il à vivre? Interrogation du temps qui passe, qui nous place devant l’accompli et l’inaccompli. Question au double programme, angoissante, que reste-t-il de nos passages ici bas et quelles force de la colline, le tour de l’image. Dans cette fusion,  certains mots apparaissent, se nidifient dans l’image, attirent le regard, si bien que le regard balaie le portrait, revient, repart, cherche à percer l’événement créateur majeur où les corps nus se déploient, dans une sensualité que seuls l’abandon et le regard intérieur peuvent porter, pour établir un temps présent. Le décompte du chronomètre s’arrête. un chiffre apparaît… évocation de l’origine de ce travail, qui n’en est qu’à son quart, (Jean-Michel Leligny ambitionne une quarantaine de portraits au final), L’auteur tente de combler la béance d’une question qui le hante depuis son enfance, sa mère se suicide à quarante ans, alors qu’ il est tout petit enfant… Cette série est une recherche de réponses et « un état des lieux » , Jean-Michel Leligny, interroge toutes ces femmes au même âge, lit dans leur regard et leur donne l’image manquante, cette part indivise et oubliée, de l’œuvre du temps et du point de leur vie. Les œuvres sont d’une grande pudeur et d’une beauté méritée, suffisamment plastique pour faire coïncider image et parole, silence et nature, dans un rapport très ouvert à l’air, à une respiration imaginaire de l’intimité rêvée. Ces réparations psychologiques sont un partage à partir d’une proposition, celle du portrait, et un déplacement du temps. Un point est marqué, fait sens, texte, image et mémoire.  http://www.leligny.fr/

Appel à participation: Jean Michel recherche des femmes ayant la quarantaine intéressées par ce travail de portrait.

L’Émoi photographique, Arnaud Hubas Une histoire, une vie.

Arnaud Hubas

Encore faudrait il parler des travaux d'Arnaud Hubas au travers d’une poétique de la solitude, à travers la ville, rapport au gigantisme des architectures qui conditionnent la silhouette d’un homme éphémère et petit devant l l’Institut du Monde Arabe, mais, qui pour autant, en fait un point d’interrogation philosophique à la Camus. De très beaux Noir et blanc, dans des cadrages très sages, évoquent cette solitude d’un Homme dans la ville, chère au Cinéma de Melville, de Godard, (Alphaville), d’Antonioni. On y repaire cette dimension philosophique et littéraire, issues des années post existentialistes et de la nouvelle vague, quand Paris devenait cette ville agie par les nouveaux rythmes de la modernité et que tout s’emballait, des constructions des banlieues sorties neuves de terre, comme celles des grands navires de l’Art, Beaubourg, la construction du quartier de la Défense succédant à celui des Halles. Le passant, la figure de Monsieur Hulot, tendit à diminuer, soudain, devant les géants en constructions, aujourd’hui bien en place et surtout à restituer ce dialogue ouvert sur les libertés face à l’écrasante perspective, de ce qui est devenu, dans l’œil d’Arnaud Hubas, la revendication plus que le constat, de cette liberté, menacée en apparence ,mais aussi, grâce à elles, libérée de la France de De Gaulle grâce à Mai 1968. Et ce mouvement, cette question se retrouve au cœur de sa photographie, dans une intensité claire et perspicace, pierre angulaire d’un éveil aux espaces urbains, dédiés aux grandes architectures… Solitudes, oui, mais actives et philosophiques.
 https://www.emoiphotographique.fr/index.php/programme-2017/69-arnaud-hubas

Arnaud Hubas

L’Émoi photographique, Nicolas Auvray « Bella Rosa » à l’hôtel St-Simon, Serial killer.

Nicolas Auvray

Nicolas Auvray voyage souvent de New York à Paris, féru de romans policiers et de films noirs, expose ici, une série construite autour d’un « décor » ou de ce qui fait décor, un numéro, 423, une double porte aux verres dépolis, derrière laquelle se profile une histoire, apparaissent des silhouettes, aporie du réel voilé qui fait fiction. Les grands tirages distribuent des ombres et ce que l’on pourrait « investiguer » d’une histoire en devenir, en construction.  C’est un appel à notre faculté de s’éprendre d’un cadre photographique simple mais actif, sur ce plan improbable d’un film muet, déplaçant les ombres portées d’un ou de plusieurs personnages. Le Surréel vient de la simplicité revendiquée du dispositif et du hasard objectif soudain agissant. C’est bien plus intéressant en soi, comme éléments intrinsèques d’un happening du hasard que ce que semble en dire l’auteur. Cette exposition fonctionne comme une installation, une forme de cout métrage comportant une dizaine d’images, dont la projection se ferait en boucle, répétitive et sérielle. un Serial killer…n’est jamais sérieux…
 http://nicolasauvray.com/

Nicolas Auvray

L’Émoi photographique, Arnaud Makalou,  "être ouvrier à Brazza " à la Maison des Peuples et de la Paix.

 

Le travail du congolais Arnaud Makalou, venu tout spécialement pour la circonstance de Brazzaville, est exposé à la maison des Peuples et de la Paix. Une série de grands tirages décrit la vie quotidienne des ouvriers des chantiers de pierre, passant leur journée à casser des cailloux destinés à devenir matériau de construction. le travail est dur et long, sueurs et poussières sur les berges du fleuve, sansaucune protection d’aucune sorte, à des prix de misère, mémoire  et actualisation de l’esclavage salarié, ici, comme ailleurs. Arnaud Makalou documente cette situation et produit une mémoire utile au corps social, pour son histoire, s’indigne de la condition faite à ces prolétaires, sans que ce surgissement de l’ordre du cri et de la dénonciation, ne soit le véritable enjeu de l’image. Le documentaire suppose une forme d »objectivité » descriptive, tandis que le témoignage introduit une prise de position plus personnelle, ce que peu de « jeunes reporters » savent faire, préférant se glisser sous la raison descriptive, sans engager leur vision personnelle propre à d’indigner et donc à vivre au plus près de leur subjectivité la forme photographique de cet engagement. Personne ne songe à y redire, la difficulté d’être photographe est déjà suffisante, surtout en pays lointain, où l’on imagine que ce reportage, exposé ici, et ailleurs dérange, l’honnête situation faite aux ouvriers de la construction. Parfois prudence est mère de sureté, et, il vaut mieux un témoignage construit, documentant la réalité que rien du tout, c’est pourquoi ce « reporting » là est un apport au constat de la situation de ces « workers » africains.  https://www.connaissancedesarts.com/evenement/arnaud-makalou-etre-ouvrier-a-brazza/

L’Émoi photographique, Jean Charles Dehedin « Parlons en » à l’hôtel St Simon.

Autre intervention autour d’une réparation qui fait peur parce que destructrice du corps féminin et de l’image de soi, « Parlons-en » de Jean-Charles Dehedin aborde le cancer du sein à travers une série de photographie de corps en partie dénudé, aux cicatrices résultants d’opérations ou d’ablations et d’une phrase, d’un mot revendiqué , d’une formule le pus souvent, servant à déjouer le choc en retour du à l’opération. Jean-Charles Dehedin, lui, aussi exposé , a cherché à témoigner le plus justement possible de ce retour à la vie, à l’humour, et au sentiment que la vie continue dans un combat tout aussi quotidien dans le regard de l’autre… « Ces femmes se sont mises en scène anonymement, afin que le spectateur puisse imaginer l’un de ses proches à leur place. » dit il.

Pascal Therme vit et travaille à Paris. Il y conçoit ses reportages sur les expositions, la mode et les fashion shows.