Rodolphe Burger - Good: excellent même !
De Kat Onoma à ses expériences diverses dans les mondes parallèles au rock, glissant sans encombre de la tech de Doctor L à la world avec des musiciens asiatiques, ou le jazz équilibriste avec d'autres et encore Rachid Taha, le guitariste-philosophe Rodolphe Burger trace. Et il le fait sans regarder derrière lui, déplaçant une pierre là, un muret ici ou un pan de ciel ailleurs. Car c'est là qu'il va - toujours ailleurs. Good (d'après Beckett). On y revient plus avant.
En quoi ce Good diffère-t-il tout en restant étrangement familier? En quoi icelui fait-il frissonner les neurones d'une autre manière ? En quoi cet à rebrousse-poil est-il européen, contemporain et pointu ? Alors bien sûr, ça soulève des questions d'où ça vient et où ça va, quand ça crachouille à foison, en disant l'Europe et plus dans des textes morcelés ou piqués à Beckett, EE Cummings, TS Eliot, Büchner, ou relu d'après Skip James; autant que de sa plume avec Olivier Cadiot et Pierre Alferi. Mais d'abord, il y a la voix qui susurre, qui caresse et enjôle ou bien, vipérine, pique de mille dards, vénéneuse comme jamais. Mais bon, rien mieux qu'un exemple introductif…
En français, anglais ou allemand, du texte parle ici, se chantonne et se donne avec envie, mais avec mélancolie. Une vieille mélancolie à l'image d'une culture européenne qui se joue dans la persistance de la vision qu'il en a - et première clé - qu'il réactive goulûment, à sa façon, mixant jazz, rock, reggae, world à des densités subtiles - et toujours avec cette guitare incomparable et souvent cristalline qui sonne blues sans jamais forcer la dose. Comme depuis ce concert de Kat Onoma entendu un (vieux) jour où ils partageaient l'affiche avec les Tindersticks.
Mais, pour reprendre le cheminement de l'album qui passe de vision en vision, de modernité en romantisme, de destruction formelle (Cummings) à constat de destruction (The Waste Land), pour finir par dire les errances de Lenz. Un Lenz acculé "par des chose que les hommes ne peuvent supporter, comme si la démence montée sur ses chevaux lui donnaient la chasse… "
Ô combien triste est l'heure de l'Happy Hour qui cite Dean Martin (My Rifle, My Pony & Me), là où (on se retrouve ni mieux ni pire, au bar, quelque chose a enflé, quelque chose s'est creusé - mais quoi ?) Alors on sort pantelant et on retrouve le Rodolphe Burger qui écrivait Samuel Hall (je m'appelle Samuel Hall - et je vous hais). Avec Bashung, d'ailleurs, il a rencontré Christophe Calpini avec lequel il réalise cet album à la prod carrément impeccable ( son majestueux et d'une immense clarté qui débouche le propos d'une noirceur de jais),
Et puis, il y aussi Sarah Murcia au violoncelle et à la voix, Calpini aux rythmiques électroniques, Julien Perraudeau aux claviers Alberto Malo à la batterie et Patrick Mario Bernard à la voix qui viennent, comme des volumes supplémentaires, compléter la bibliothèque en flammes decette culture qui refuse de s'avouer vaincue (et qui le prouve avec bonheur).
Rodolphe Burger parle de cet album "comme d'un disque de shaman", et on adhère fort à ces décollages vertigineux. Vu du bar, on y observe une drôle d'Europe qui, venimeuse, sent autant de la tête que des pieds. Là où l'on parle culture, forcément ça bouge. Forcément, ça éructe et ça se pâme. Avant de rentrer - comme chez ces Gens-là. Entre temps, on aura entendu le crépitement des insectes qui viennent crever sur la grille dévolue à cet effet, des penseurs qui témoignent, des ivrognes qui vagissent, des poètes qui flippent et un super album. L'homme qui semble survoler l'album est ce diable de Friedrich Nietzsche, celui-là même qui disait : "Il faut avoir un chaos en soi-même pour accoucher d’une étoile qui danse." Là, justement, avec Lenz, on retrouve le Caspar David Friedrich du Maler der Stille tout autant que le Cri de Munch.
Fastoche, le disque du mois. Et il y a même tellement de couches de sons qu'on peut y revenir à l'envi, avant qu'il ne se déplie/déploie entièrement. Grand disque sarcastique de rock estampillé 2017.
Jean-Pierre Simard, le 24 février 2017
Rodolphe Burger - Good- Dernière Bande/PIAS