Walerian Borowczyk et les doubles absurdes - rétrospective

Walerian Borowczyk débarque à Paris en 1958 fort de ses succès de cinéma d’animation, image par image. Artiste de l’est, à la mode, il cristallise tous les fantasmes que lui prête l’intelligentsia française, qui avance vers Mai 68 (Milos Forman, et aussi Roman Polanski arriveront plus tard). Et il va en profiter pour tourner au rythme d'un film par an de la fin des années 60 jusqu'en 1984. Rétrospective à Beaubourg et sortie de coffret chez Carlotta. On développe un peu. 

Ce Polonais à la fois plasticien et graphiste, est un des concepteurs notoire des affiches de l’est des années 50-60, comme des films d’animations, les plus pointus des cinémas tchèque et polonais… Il a commis dessins animés graphiques et politiques, en s'appuyant sur des suejts et des images aux réminiscences littéraires, théâtrales, influencées par l’art, la psychanalyse, le sexe, l’érotisme, et, il le dira haut et fort, marqué par le grotesque (aussi bien pataphysique que panique) Un art de références qui sait tirer sa révérence en dégageant l'absurde de chaque situation. Né en Pologne en 1923, il s'est éteint au Vésinet en 2006.

Ses courts et films d'animation reconstruisent le monde çà partir d'objets totalement hétéroclites, mais qui finissent par faire sens avec la dramaturgie qu'il conçoit pour eux - un peu à la manière de son compatriote théâtral Tadeusz Kantor et son bric à bric. Il y déploie aussi bien des objets, des encyclopédies, des choses sans forme auxquelles il prête vie avec du gag, des ruptures- à leur faire propager des surprises décalées. Borowczyk des symboles pour figurer le monde nul et non avenu dans lequel il évolue..

Avec des circonstances favorables, un scénariste comme André Pieyre de Mandiargues et des producteurs qui lui font confiance (comme Anatole Dauman), il va enchainer les films après 1968 : Goto île d’amour, Contes immoraux (ou Paloma Picasso en princesse vampire prend des bains de sang), L'Histoire du pêché, La Bête (le plus connu où une marquise fait jouir une sorte d’âne-singe à l’écran !), Les héroïnes du mal ou Docteur Jekyll et les femmes (presque un par an jusqu’en 1984)… Il détourne des histoires en costumes du XVIIIe siècle avec Blanche, ridiculise la société et les mœurs au passage Goto, la Bête, dénonce l’hypocrisie et l’absurdité du monde, Contes immoraux, et finit en apothéose érotique et parfois sanglante, Docteur Jekyll et les Femmes - décevant pour les voyeurs !  - mais bienvenu pour le cinéma, la machine à les décevoir. A cela, il faut ajouter un emploi judicieux et encore une fois totalement décalé de la musique classique, souvent grandiloquente ( trompette, orgue et clavecin) qui ajoute de la bizarrerie à ce que l'on voit à l'image - dans Goto, île d'amour, c'est assez saisissant

Précurseur d'un cinéma d'invention, libéré des conventions, André Breton le considérait comme "l’imagination fulgurante", la critique, finira par lui accorder de moins en moins de crédit pour se venger de cet artiste iconoclaste, trop bizarre pour le grand public, trop underground pour les médias et qui se permettait de flirter avec les images de nus et de sexe, sans leur donner les codes de son univers. Alors, on ira le traiter d’obsédé, de pornographe, malgré la reconnaissance des intellectuels et artistes.

Mais entrer dans le monde de Borowczyk se mérite, Lynch est un de ses descendants, et se juge sur l’ensemble de son travail autant animé que cinématographique, en courts comme en longs. Alors qu'aujourd'hui, le cinéma n'est qu'action et montage pour accélérer le rien à dire des scénarios, son décalage, comme son ironie qui avancent à petits pas selon tout un cérémonial restent d’actualité pour dire ce qu'a été le cinéma de l'Est souvent géré à l'absurde et au fantastique, comme le Jan Has de la Clepsydre ou le sulfureux Sergei Parajdanov de Sajat Nova : un penseur/découvreur d'images et une antidote.

Jean-Pierre Simard, publié le 24 février 2017

Rétrospective Walerian Borowczyk au Centre Pompidou du 24 février au 19 mars 2017
+ coffret DVD (distribué par le Centre et Carlotta films ) : 8 DVD et 3 Blue Ray. Tous les films d’animations (16 courts métrages + 7 longs + 2 livres et des ITW et suppléments)