Documentaire : le fond de l'air est bleu, tendance police

Deux films consacrés à la violence et à la répression policières sont sortis en septembre. Nous revenons sur l'un d'eux, Le fond de l'air est bleu, passionnante enquête sur une police en passe de devenir un état dans l'Etat. Une projection est organisée ce soir à la librairie publico (1), le film n'étant plus en accès libre.

Si « Acharnement, poursuivis pour l’exemple », de Mourad Laffitte ne cache pas sa proximité avec le Front social qui fédère syndicats, associations, collectifs et médias alternatifs contre les ordonnances gouvernementales, « Le fond de l’air est bleu » revendiquerait plutôt une proximité idéologique avec le cortège de tête. Le collectif Actividéo qui l’a réalisé, s’est fait connaître avec un premier documentaire intitulé « C’est qui les casseurs ? », qui rendait compte de l’émergence, lors des manifestations contre la loi El Khomri, d’un mouvement autonome revendiquant une forme de violence populaire. Certes, ce mouvement a toujours existé depuis les années 1970. Mais la nouveauté, que donnait à voir également le reportage de Thierry Vincent « Nous sommes tous des casseurs » -même s’il a été fortement critiqué par les principaux concernés-, c’est l’élargissement de ce mouvement à des gens qui n’auraient sans doute pas imaginé auparavant se rendre à une manifestations avec un casque et des lunettes de natation et sa relative acceptation par l’ensemble des manifestants, même les plus pacifiques. On n’a sans doute pas relevé à quel point cette revendication d’une violence politique légitime face au pouvoir s’était considérablement élargie, bien au-delà du cercle traditionnel des militants autonomes. Le niveau de violence policière atteint pendant le mouvement contestant la loi travail, a beaucoup aidé à légitimer ces pratiques.

LE BLEU DE L’UNIFORME

Le titre du film d’Actividéo et Medialien renvoie au film de Chris Marker « Le fond de l’air est rouge », sorti en 1977. Si la couleur écarlate renvoyait à l’effervescence révolutionnaire des années 1960 et 1970, ponctuée par la lucidité douloureuse du réalisateur, « le Fond de l’air est bleu » renvoie à la couleur de l’uniforme. Le film est en tout cas une passionnante enquête sur les violences policières. Il élargit le spectre de l’analyse à l’ensemble des violences policières, celles commises sur les manifestants, mais aussi sur les habitants des quartiers populaires et, brièvement, sur les migrants. Trois cibles principales qui résument l’usage politique de la police, telle que la pratique le pouvoir aujourd’hui. Mort d’Adama Traoré puis de Curtis, viol de Théo, manifestants éborgnés, le film rend compte d’une actualité riche et dramatique, mais sans jamais verser dans le larmoyant. Moment d’émotion quand même, quand Ramata Dieng -dont le frère Lamine est décédé entre les mains des policiers-, fait reprendre à la foule la liste interminable des victimes tuées par la police.

APPRENDRE À AIMER LA POLICE COMME ON AIME LE NUTELLA

Le mérite de ce film de 70 minutes est de mettre en relation des informations diverses, comme on assemblerait les pièces d’un puzzle, pour questionner globalement le rôle de la police dans notre société. Avec une qualité d’image excellente une touche d'humour franchement corrosif. Le film débute sur un ton léger, interrogeant le rôle des séries policières. C’est à travers elle, qu’on nous apprend à aimer la police, « comme la publicité nous conditionne à aimer le Nutella, l’alcool ou les cigarettes », résume Franco de la Brigade anti-négrophobie (BAN). Ce sont aussi ces séries policières qui ont orienté la vocation de plus d’un policier.

UNE RÉALITÉ DU MÉTIER PAS FRANCHEMENT GLAMOUR

La réalité policière dont témoignent les policiers interviewés est pourtant loin d’être aussi glamour que celle des « Experts » ou de « Deux flics à Miami». « C’est pas ce que tu crois », dit un policier en poste à l’aspirant flic, qui pense signer pour défendre la veuve et l’orphelin. « Finalement, il avait raison », conclut ce dernier. Un aveu qui ne manque pas de sel, sachant que le policier en question est Alexandre Langlois, responsable de la CGT Police, rebaptisée VIGI (lapsus ?) et qui se propose de prendre la tête des manifs pour en découdre avec ceux qui souhaiteraient s’en prendre à ses collègues…

LES FLICS MARCHENT SUR L’ELYSÉE

« Le fond de l’air est bleu » revient sur les manifestations de l’hiver 2016 des « Policiers en colère », dont on a peut-être un peu vite oublié qu’ils marchèrent de nuit sur l’Elysée, avec uniformes, brassards et véhicules de fonction. Et qui obtinrent, en récompense, le vote d’une loi sur mesure en réponse à une vieille revendication, celle de la présomption de légitime défense. Le film donne longuement la parole aux jeunes victimes de contrôles au faciès, mettant en évidence le fonctionnement intrinsèquement raciste du corps policier. Que Franco, de la BAN, résume lorsqu’il explique, mégaphone en main, qu’il ne suffit pas, pour venir à bout de ce racisme systémique, d’embaucher des policiers noirs, arabes ou chinois. Les réalisateurs mettent d’ailleurs en évidence le début d’alliance entre ceux qui sont maltraités pour ce qu’ils font -les militants anti-loi travail- et ceux qui le sont pour ce qu’ils sont- les jeunes des quartiers.

STRESS POST-TRAUMATIQUE

« Le fond de l’air est bleu » souligne à quel point la violence policière est une stratégie voulue par le pouvoir. Quand le film de Mourad Lafitte s’arrête sur les policiers grimés en casseurs pour déconsidérer les manifestations -vieille antienne de la CGT- un CRS explique dans celui d’Actividéo et Medialien que la violence est le résultat des ordres donnés par la hiérarchie et non une suite de dérapages isolés. Deux membres des Street medics, ces manifestants qui s’organisent pour venir en aide aux personnes blessées dans les cortèges, expliquent le rôle politique de cette violence maximale qui entraîne un véritable stress post-traumatique : « Quand tu fais des cauchemars, que tu es en burn out au boulot, que tu poses des arrêts maladie, ben tu reviens pas ». Même rôle des contrôles au faciès, palpations et autres violences -jusqu’au meurtre- subies par les jeunes hommes des quartiers populaires, qui vise à humilier et nier les personnes, pour mieux contrôler ces nouvelles « classes dangereuses ». Ce que résume l’un des interviewés : « face à l’uniforme, on n’est rien ».

QUESTIONNER L’UTILITÉ MÊME DE LA POLICE

Mais l’aspect le plus novateur du film est de poser la question de l’utilité même d’une police et de son monopole au service d’une supposée « cohésion sociale ». De fait, la dénonciation par les policiers de leur hiérarchie -grâcement payée comme nous l'apprend le film- et de la politique du chiffre montre ses limites. L’esprit de corps justifie toujours les actes des collègues, y compris les plus abjects, comme le viol de Théo Luhaka. Les paroles du policier qui prétend que les violences policières sont fermement condamnées par la justice française, contre toute évidence, sont mises en rapport avec le témoignage du frère de Wissam El Yamni, jeune homme décédé suite à une interpellation musclée, qui explique comment la collusion entre police et justice et la culture de l’impunité empêchent toute possibilité d’enquête impartiale. Le film raconte la peur, l’humiliation mais aussi le courage de tous ceux et toutes celles qui se mobilisent pour lutter contre cette violence d’état. Les images de l’évacuation d’un campement de migrants rappellent à quel point les forces de l’ordre sont là pour maintenir un certain ordre, aux dépends des plus faibles.  Conclusion de Nnoman, photographe militant, fondateur de Fumigène, « Si tu es un bon flic, dénonce ce qui se passe en interne et démissionne ! » Radical, mais clair.

UN CHOIX AUDACIEUX MAIS PAS FORCÉMENT JUDICIEUX

Seule réserve sur ce film tonique et incisif, le choix de n’indiquer que les prénoms des personnes interviewées, alors même que certaines sont des personnalités publiques connues. Un choix audacieux voulu pour mettre toutes les personnes interviewées sur un pied d’égalité. Ceux qui connaissent le sujet reconnaîtront sans peine Amal Bentounsi (Collectif Urgence notre police assassine), Ramata Dieng (Vérité et justice pour Lamine Dieng) ou Omar Slaouti (collectif Vérité et justice pour Ali Ziri), ainsi que Stella Magliani-Belkacem, co-auteur des « Féministes blanches et l’empire » ou Pierre Douillard, auteur de « L’arme à l’œil », lui-même blessé au visage par un tir de LBD. Au final, ce choix produit l’effet inverse, puisque ces précisions demeureront inaccessibles pour le spectateur pas familiarisé avec la question des violences policières.

Véronique Valentino

Projection ce soir vendredi 8 décembre, à 19h30, à la librairie anar Publico, à Paris : voir les infos.

« Acharnement, poursuivis pour l’exemple », un film documentaire de 70 minutes réalisé par Mourad Laffitte, responsable de production Laurence Karzsnia, produit par Images contemporaines, septembre 2017.

Voir la bande annonce : https://www.youtube.com/watch?time_continue=255&v=5CZslrMSrr8

« Le fond de l’air est bleu », film de 70 minutes, réalisé et produit par les collectifs Actividéo et Medialien, septembre 2017. Consulter la page Facebook du collectif : https://www.facebook.com/activid/?ref=br_rs

Voir le film précédent du collectif Actividéo "C'est qui les casseurs ?"