Le féminisme turc grotesque d'Elif Varol Ergen
Créatrice d'art pour le moins dérangeante, Elif Varol Ergen attire tout spécialement les amateurs d'art décalé, limite brut d'expression, même si le grotesque des personnages la tire plus vers un surréalisme mixant Clovis Trouille ou Pierre Molinier avec les tenants du dessin contemporain nippon : les Suehiro Maruo, Junji Ito et Shintaro Kago. Voyez vous-même …
Les peintures de l'artiste turque Elif Varol Ergen font souvent l'effet que, tout un chacun aurait accès à son journal personnel, dans lequel elle consignerait au fil des jours, des mois, des années - même - tout ce qui la tourneboule, l'effraye. Genre de condensé de roman horrifique qu'elle réécrirait au jour le jour, sans jamais pouvoir s'en défaire; mais en variant les thèmes au fil de son évolution. Du sang, du sperme, de la gélatine, et des instruments coupants et/ou contondants, comme manifestations primaires du cauchemar qu'elle porte et développe depuis des années. Mais attention, avec un côté qui rappelle le monstrueux dans l'humain et pas l'inverse.
Dans l'actuel califat d'Erdogan, inutile de dire que son art tranche sur les œuvres cul bénis propagées par le pouvoir. Ses travaux utilisant divers supports sont autant de commentaires sur la condition et la sexualité féminine, l'identité, la maternité et, tiens donc, le sexisme. Tout cela, à travers une galerie de monstres (souvent enfantins), de sorcières, de rebelles, et de déesses mythiques. De quoi, en fait, approcher tous les aspects de la réalité.
Elle se décrit comme une artiste visuelle ET une instructrice. Après un diplôme à Ankara, aux Beaux Arts de Hacettepe en 1999, elle poursuit avec un master sur les comics dans la culture extrême-orientale et au Japon en 2003, avant de faire sa thèse sur le concept d'abstraction dans les livres pour enfants, qu'elle obtient en 2009, au même endroit. Ses première peintures traitent des rapports parents /enfants et de leurs abus et traumatismes. A la naissance de son fils, elle va traiter de la maternité et de la relation souvent dévorante qu'elle suppose, comme du baby blues.
Dernièrement, elle a produit d'autres images autour de femmes et de filles sorcières et wiccanes païennes, voir de déesses en lutte contre les censures à l'œuvre et les rôles imposées aux femmes dans la société. On y trouve à la fois l'influence des mythes horrifiques japonais comme de la manière de dessiner d'Albrecht Dürer.
Un art puissant qui engage à la fois le cœur et l'esprit. Une sorte de provocation qui passe par le corps pour en dire les horreurs subies et le manifester à l'esprit par la multiplicité des approches. D'un même élan, totems et tabous - transfigurés dans le burlesque.
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Jean-Pierre Simard le 8/12/17