Boubacar Traoré envoie le blues malien avec des musiciens américains sur Dounia Tabolo
Depuis le décès d'Ali Farka Touré, il demeure l'unique représentant du blues malien en Afrique de l'Ouest. Après une vie tourmentée qui l'a vu passer du statut de première star de l'indépendance, au début des années 60, puis disparaître de la vie musicale pendant près de 20 ans, avant de revenir sur le devant de la scène au mitan des années 80, Karkar est toujours là.
Guitariste, chanteur, songwriter, Boubacar Traoré possède un style inimitable et complètement personnel. Autodidacte, inspiré par la tradition kassonké - il est né à Kayes au nord-ouest du Mali en 1942 - il a, comme tous les jeunes de sa génération, découvert à la radio le blues, le rock, le jazz, la soul, les musiques cubaines et congolaises. Il s'est forgé un univers musical qui ne ressemble à aucun autre. Poétique, fluide, dépouillé son jeu de guitare est au service de mélodies mélancoliques inspirées par la vie quotidienne, l'amour heureux ou malheureux, le temps qui passe... Sa voix chargée d'émotion, au timbre chaud et grave n'a pas été altérée par les années. On le compare souvent à Skip James, Robert Johnson, aux bluesmen du delta du Mississipi. Mais c'est sur les rives du Niger, à Bamako où il demeure désormais, qu'il puise son inspiration.
Avec une carrière en dents-de-scie et de longues périodes d'absence, c'est au tournant de sa soixante-dixième année que le guitariste revient sur le devant de la scène en compagnie de Vincent Bucher, l'un des meilleurs harmonicistes actuels en qui il a trouvé son alter ego. Plus afro américain que français, c'est Vincent qui a su insuffler liberté et ouverture sur le monde à la musique de Boubacar, comme en témoignent ses 2 derniers enregistrements « Mali Denhou » (2011) et « Mbalimaou » (2015) et les nombreux concerts donnés aux 4 coins du monde, devant un public toujours électrisé par la complicité du duo, accompagné par Alassane Samaké, tout en finesse à la calebasse.
Pour Tounia Tabolo, Boubacar a souhaité aller plus loin dans cette ouverture, en invitant des musiciens du Sud des Etats-Unis croisés lors de ses tournées, Cedric Watson au violon et au washboard et Corey Harris à la guitare. Et lorsqu'il leur a fait part de son désir d'ajouter un violoncelle et une voix féminine sur l'album, c'est Cedric Watson qui lui a suggéré Leyla McCalla. L'idée de Boubacar était de changer les couleurs de ses chansons (standards ou nouvelles) tout en gardant leur cachet original. Entre blues, folk, musiques créoles, cajun et zydeco, ses nouveaux compagnons de route apportent une touche de folie et de swing pour Cedric Watson, la profondeur du blues pour Corey Harris et une élégance discrète pour Leyla McCalla. Plus que jamais, Boubacar Traoré s'affirme comme le lien vivant et vif qui relie encore et toujours Mali et Mississippi.
Si vous ne connaissez pas encore la délicatesse de ce son, je vous laisse tomber de votre chaise tout seul. Karkar a encore de beaux jours devant lui. Et, par là-même, nous aussi. Une musique de lucioles au milieu des griots modernes, un bonheur.
Maxime Duchamps le 23/11/17
Boubacar Traoré Dounia Tabolo Lusafrica
-> En live au New Morning le 13/12/17 à 21 h