Camille Moravia : Le jour où j'ai eu
Le jour où j'ai eu, c’est un peu le récit de la traversée de l’Afrique. Camille Moravia n’a pas reçu de formation des beaux-arts ou d’une autre école spécialisée afin d’apprendre le métier d’artiste professionnel, elle est née sous d’autres réseaux et pour d’autres raisons.
Cette initiation autonome vers les investigations artistiques peut s’apparenter à la traversée de l’Afrique pour un occidental : on arrive parmi des oiseaux colorés qui chantent fort dans les hauts arbres, des sorciers vaudous tentent l’envoûtement en laissant des messages sibyllins, les fleuves sont habités de crocodiles souriants et des tigres affamés de gazelles pompettes sont embusqués derrière les tables de vernissages. C’est ainsi qu’on découvre l’Afrique, le monde de l’art majestueux et dangereux, rempli de bêtes sauvages fascinantes. Camille Moravia expérimente ces réseaux qu’on nomme abusivement sociaux, Facebook notamment, on rajoute souvent un mot doux pour divulguer la réalité, les réseaux ne sont pas que sociaux. Nombre d’enfants détournés, d’attentats préparés et actés, de licenciements abusifs sont les fruits des réseaux sociaux. Facebook ment, Je est un autre, le mafé brûle et Camille n’est peut-être pas Camille, mais alors qui est Camille ? Dans la photographie comme au théâtre et dans tous les arts, la multiplication des artifices permet de caresser le vrai, de s’enfoncer dans la jungle, humer l’odeur des fauves et pénétrer la réalité des êtres.
Camille Moravia a dû se découvrir, au propre comme au figuré, pour révéler une histoire imaginée par elle-même, qui n’est pas tout à fait la sienne, ni rêvée, mais dans l’entre-deux. Une histoire qui se fait au fil des jours, des années, l’histoire d’une affirmation de soi-même en tant que femme par un travail artistique matière à fictions narratives et à convictions, c’est en somme partir du quotidien pour arriver à une mythologie individuelle, dépasser l’usage pour tutoyer la splendeur.
Dans l’exposition à la Galerie de la Voûte, seconde exposition personnelle pour l’artiste, elle s’arrête sur ces moments vécus, instants forts immortalisés par des photographies préméditées, pensées comme un fil d’Ariane. Car l’art de Camille Moravia est un roman, c’est l’histoire de sa rencontre avec le cinéma de Jean-Luc Godard, les fictions de Sophie Calle, les photographies de Nan Goldin, c’est l’histoire de son grand amour : l’art. Ce n’est pas une rencontre arrangée ou payée dans une jolie école renommée, mais un kif, un coup de foudre comme un coup de boule. Camille tripote la matière pour en sortir un nectar précieux, voluptueux. Parfois, c’est une image comme une synecdoque particularisante, la partie est le tout, le hors champ. Camille allongée nue, ce n’est pas une image du monde, c’est le monde. Et il y a des jours, des photographies, qui marquent la vie plus que d'autres, des jours où tout s’emballe, arrive un ouragan et le monde change, une princesse le chantait sur les ondes (Stéphanie de Monaco in Ouragan, Studio Marcadet, Paris 1986).
Lorsqu’elle a traversé sa vie d’avant, Camille Moravia dit avoir fait « tout ce qu’il fallait faire » : le mari, l’enfant, le travail, pour être enfin peinarde et renaitre autrement. Le jour où j’ai eu est une suite de passages à l’acte, un retour-images sur les moments qui ont changé sa vie et cette exposition est précisément l’histoire de la vie d’une femme d’aujourd’hui, non pas subie, mais créée par elle-même, un message puissant pour celles et ceux qui l’entendront.
Laurent Quénéhen
Camille Moravia : Le jour où j'ai eu, exposition Galerie de la Voûte 42, rue de la Voûte, 75012 Paris. Du 15 septembre à 18:00h au 25 septembre à 20:00h.