Insiang, le mélo ghetto de Lino Brocka
Flamboyant mélo qui révéla Brocka et le fit inviter à Cannes en 1978, Insiang révéla les conditions de vie des bidonvilles de Manille au monde entier par son succès. Mélo plus réalisme documentaire, c'est la recette gagnante de l'œuvre.
Insiang, c’est du cinéma vérité tourné dans un vrai bidonville, mais avec des acteurs professionnels. Et on se prend directement tout le background de la misère des lieux dans le cortex, à l’image de la vie des réfugiés du XXI e siècle qu’ils soient à Calais ou dans des camps du monde arabe. C’est un mélodrame social qui secoue de bout en bout, car d’entrée on plonge dans un abattage de porc, et on poursuit avec la vie des paumés et les rapports de force avec des voyous alcooliques et bagarreurs, et l'incessante quête du travail pour juste survivre, là où bien sûr, il est absent. Tensions sans fin et manipulations à satiété pour une dureté qui ne faiblit jamais et révulse d’entrée.
Insiang (1976) de Lino Brocka a été restauré par The Film Foundation pour le World Cinema Project de Martin Scorsese. Il s’agit d’une restauration Cineteca di Bologna/L’Immagine Ritrovata financée par le World Cinema Project de la Film Foundation et le Film Development Council des Philippines. Il est ressorti mercredi 22/06 en salles et permet de retrouver un joyau du cinéma philippin des années 70 signé Lino Brocka qui emprunte autant au Gorki des Bas Fonds qu’au Fassbinder du Marchand des Quatre Saisons, voir au Dode’s Kaden de Kurosawa, si pas au Porcherie de Pasolini.
Le film se joue au sein d’un bidonville de Manille où tentent de survivre une famille dont la mère ne peut pardonner à sa fille que son mari l’ait quitté ; là où vivent les franges les plus pauvres de la population. Elle lui mène une vie d’enfer alors qu'elle, Insiang, l’héroïne, voudrait juste vivre sa propre vie. Et là, une machination ourdie par l’héroïne va tout remettre à plat, façon Brecht.
Après un début installant la vie quotidienne des personnages, le film se concentre sur son trio mère fille amant, et dresse un portrait saisissant de Insiang, jeune femme trop belle dont le visage angélique dissimule une volonté terrible. La violence du monde du travail et des conditions de vie va se déplacer sur la scène des sentiments amoureux, de la passion et de la sensualité. Déterminée à ne pas demeurer une victime dans un milieu machiste où les femmes sont des objets de désir ou des esclaves domestiques, Insiang va échafauder une double vengeance implacable, par personnes interposées, contre les hommes qui l’ont humiliée. Avec une conclusion extraordinaire dans un scène qui réunit la mère et la fille.
Le mélo, à la Douglas Sirk, a été une composante essentielle du cinéma populaire des pays défavorisés. Il a inspiré par sa façon de raconter des histoires une grande partie du cinéma politique, car il affirmait une street credibility sans faille par ses aspects documentaires - et on peut aujourd’hui se ronger les ongles de voir qu’il a été remplacé par les films de super héros à la remorque de l’aigle américain planqué derrière Hollywood. Superman n’a jamais été une idole du tiers-monde, quand Bruce Lee si.
Brocka a été le cinéaste politique philippin le plus connu et respecté des années70/80 pour ses divers engagements théâtraux et cinématographiques. Il a depuis été surpassé par Lav Diaz qui privilégie, lui, le cinéma vérité au long cours en cherchant à installer une autre temporalité au cinéma avec des films de plus de quatre heures, au minimum. Insiang est un chef d’œuvre qui n’a rien perdu de son mordant. C’est dur, c’est beau, c’est ce que la télé ne sait même pas faire. Accrochez-vous, c’est du brutal !
Insiang de Lino Brocka avec Hilda Koronel, Mona Lisa, Ruel Vernal, Rez Cortez, Marlon Ramirez
(1976) , Carlotta Films 2016, durée 95'