Relu et documenté par Paco Ignacio Taibo II : Viva Villa !

La vie de Pancho Villa comme leçon de précision documentaire, d’histoire comparée et d’ironie subtile.

Publiée en 2006, traduite en français en 2009 chez Payot par Claude Bleton, cette œuvre presque monumentale, avec ses 900 pages, dix ans après celle consacrée à Che Guevara par le romancier et professeur d’histoire hispano-mexicain Paco Ignacio Taibo II, est une authentique biographie de Pancho Villa, nullement romancée – comme pourrait le laisser entendre le sous-titre français, moins clair que l’original espagnol (una biografia narrativa).

La lectrice ou le lecteur peuvent ainsi admirer à l’œuvre la précision documentaire et comparatiste de l’auteur, recensant minutieusement toutes les sources disponibles, qu’elle soient d’époque ou développées au fil des années depuis 1910-1920, organisée en 71 courts chapitres, chacun d’entre eux présentant un « épisode » de la saga, complété de notes approfondies (et indiquant les points litigieux ou obscurs de la biographie) et de précieuses photographies (de taille réduite toutefois).

De tous les biographes de Pancho Villa, celui qui a le mieux dessiné les années obscures de sa jeunesse, en les dépouillant de toute démagogie, romantisme et anecdotes taillées sur le modèle de ce que serait le Pancho Villa historiquement futur, c’est Ramón Puente qui les résume ainsi :  » Son histoire avant la Révolution est ordinaire, pleine de cruautés et d’infamies ; ce qu’il a de pittoresque, c’est le paysage ; ce qui le sauve, c’est le sentimentalisme qui guide souvent ses actes, ce qui l’éclaire, c’est l’imagination qui brille parfois au-dessus de ces ombres et lui permet de voir se transformer en bonheur la misère du pauvre, en libéralité et en esprit d’entreprise l’avarice et la turpitude du riche. »

Un auteur anonyme, dans un des nombreux fascicules publiés sur Pancho Villa, affirme que rien de solide ne peut étayer la première étape de sa biographie, mais que les légendes ont du bon, n’en ont que ceux qui les méritent. Et John Reed d’insister : « Il est pratiquement impossible d’avoir des détails précis sur sa vie de bandit. »

Aux côtés du voleur de bétail devenu seigneur de la guerre « populaire » dans son fief de l’état de Chihuahua, révolutionnaire constitutionnaliste consacrant l’essentiel de son énergie, durant dix ans, à faire vivre son armée et à l’approvisionner en nourriture, habillement, armes et munitions, tacticien charismatique et intuitif sachant s’entourer d’excellents professionnels, Paco Ignacio Taibo II nous offre une singulière leçon d’histoire et de la manière dont on l’écrit et la réécrit, toujours et encore. En mettant à contribution les dizaines de témoignages farfelus, dont l’inventivité peut être aisément démontrée, et pourtant largement repris, au fil des années, par tant d’ « historiens », il éclaire certes les faits historiques avérés (et les zones d’ombre réelles soigneusement entretenues par ce spécialiste et fumigènes que demeura jusqu’au bout le méfiant Mexicain, prompt à dissimuler ses traces et ses intentions, s’entourant incidemment de mille précautions pour éviter captures, trahisons et assassinats), mais plus encore les nombreux intérêts révisionnistes qui furent à la grande manœuvre autour du général Francisco Villa.

 

À son tour, la seconde bataille de Celaya, comme la première, subit la vision simplificatrice des historiens et des chercheurs. Jeffrey Pilcher, un analyste militaire américain, échafaudera une thèse selon laquelle « Pancho Villa chevauche vers la légende mexicaine, porté par le mythe de la cavalerie », et il parle des trente charges de cavalerie de Celaya dont il explique l’échec de la façon suivante : « Cavaliers contre mitrailleuses, ajoutant une lapalissade un peu étrange : « Le cheval est tellement important dans la culture du fermier que ce dernier n’ose le perdre sous le feu des mitrailleuses. » Adolfo Carrasco associe les barbelés mythiques aux très réelles mitrailleuses, dont il attribue le commandement à des conseillers américains, et après avoir signalé justement que « la cavalerie villiste se retrouva piégée dans les tranchées », il invente de prétendus biplans d’Obregón qui auraient sérieusement mis à mal l’artillerie villiste. En résumé : charges de cavalerie contre mitrailleuses, suggérant de nouveau le primitif contre la modernité.

Wolf partira d’un présupposé erroné, celui de la supériorité numérique des villistes, et il soulignera que « la victoire ne fut pas du côté des Dorados, mais de leurs ennemis […] une armée spécialisée ». Malheureusement pour la thèse de Wolf, s’il y avait quelque chose de spécialisé dans le paysage guerrier mexicain, c’était bien la machine militaire de la division du Nord [NDLR : l’armée villiste], beaucoup plus professionnelle que l’armée d’opérations d’Obregón. Wolf s’égare en partant de l’analyse d’autres expériences de guerre paysanne, il ne veut voir dans le villisme qu’une horde chaotique de fermiers indisciplinés, ce qui n’a jamais été le cas, ne lui en déplaise.

La prodigieuse énergie de l’homme, la capacité à affronter les obstacles de celui que John Reed, alors journaliste (presque) débutant suivit lors de sa plus grande campagne victorieuse, en 1914 – dont son « Mexique insurgé » témoigne, ainsi que le saisissant extrait qu’en constitue son « Pancho Villa » -, sa manière rusée et opiniâtre d’incarner un certain Mexique, étonneront sans doute à bon droit la lectrice ou le lecteur davantage familiers des images d’Épinal véhiculées en Europe (suivez par exemple mon regard en direction d’Hergé), renvoyant si souvent la révolution mexicaine à un folklore à cartouchières et sombreros, teinté d’un fréquent racisme condescendant. Paco Ignacio Taibo II n’élude ici aucune situation problématique, aucune controverse, aucune affaire trouble : très loin du panégyrique, et encore plus loin de la dénonciation intéressée, il rend compte dans toute son ampleur de la complexité d’un personnage et d’une période historique, des ambiguïtés politiques comme des idiosyncrasies des acteurs concernés, du billard à plusieurs bandes joué par les puissances étrangères comme des singulières contradictions d’une Révolution accumulant à loisir les hypocrisies et les authentiques malentendus. Une grande et précieuse biographie polyphonique d’un personnage hors normes, et un passionnant parcours au cœur complexe d’une guerre civile enserrée dans un jeu ramifié d’intérêts économiques et sociaux. Et la subtile ironie de l’auteur comme une prime gracieuse.

Pancho Villa, roman d’une vie de Paco Ignacio Taibo II, éditions Payot
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Paco Igniacio Taibo II