Annette Messager, Dame à plusieurs licornes…
Faire se balader, comme dans l'amour courtois, les manifestations du désir féminin, c'est l'objet d'"A Mon Seul Désir", dernière exposition en date d'Annette Messager chez Marian Goodman. En ces temps de caleçons serrés et de retour des cols Claudette reboutonnés, rien moins qu'une aubaine que ces utérus colorés, florissant de vie et hurlant de désir.
À mon seul désir est le titre qu’Annette Messager a choisi pour un corpus de nouveaux dessins à l’acrylique façon lavis, de petites sculptures — certaines en tissus, d’autres recouvertes de peinture noire texturée — , d’œuvres sur toile (Mes Reliques, 1984-86) ainsi que plusieurs Albums-collections de la série Annette Messager truqueuse de 1974 contenant des photographies noir et blanc. Il est l'occasion pour l'artiste d'inaugurer le nouvel espace au 66 rue du Temple. À partir du 24 janvier 2017, ce dernier deviendra la Librairie Marian Goodman, associant la librairie à un espace d’exposition.
Avec la formule À mon seul désir, Messager nous replonge dans la soi-disante énigme posée par le phylactère qui orne la sixième tapisserie de La Dame à la Licorne. Cet énoncé a suscité nombre interrogation sans que son mystère ait jamais pu être percé ; il demeure comme une résistance, une rétention à l’endroit du désir des femmes et de son expression. Soit parce qu’il est tu, soit parce qu’il est inaudible… Alors qu'il suffit de le lire comme : Approches-toi de mon désir à tes risques et périls et fais en sorte que le tien devienne mien. Mais bon, en ces périodes de Manip pour touche à touche, l'amour courtois sent un peu les rillettes de la Sarthe…
Alors, avec ses dessins d’utérus extravertis, de seins triomphants et ses sculptures faites d’assemblages audacieux, Messager livre des éléments de réponse : ce désir ne serait-il pas précisément celui de pouvoir s’affirmer et se donner à voir ? (cf. À mon désir ; Ma force, ma liberté ; Ma volonté, mon désir ; Mes désirs, ma force ; La Mer de seins, 2016).
La tournure « À mon seul désir » couplée aux textes explicites insérés dans certains dessins revêtent alors des airs de manifeste posant comme principe la fierté d’être femme, la liberté de créer, de montrer, mais aussi celle de choisir et d’agir selon son bon plaisir. En témoignent les travaux intitulés 344 Salopes ; Je suis mon propre prophète ; Ne me soumet ; Mon corps, mes seins ; No God in my Vagina ; Mon Plaisir, 2016 …
L’artiste pare ainsi ses dessins au style librement anatomique ou figuratif de couleurs contrastées et vibrantes : des tons roses pâles explosent jusqu’au rouge vif et tranchent avec des gris se durcissant dans les noirs. Des pointes de bleu et de mauve viennent délicatement surprendre cette palette bicolore et donnent aux utérus l’allure de bouquets de fleurs. Les couleurs swinguent et le trait est rieur et assuré.
Dans ses sculptures, Messager crée des rapprochements tout aussi libres : un chausson de danse garni d’un buste de Christ miniature affublé de jambes de poupée Barbie ; un masque surmonté d’un escarpin vernis ou encore deux gorilles suspendus à un crochet de boucher et chevauchant une sculpture miniature de Rodin. Comme un rappel, elle les a mêlées avec Reine de la nuit, une des pièces de sa série reine en matière d’hybridité : Chimère (1982-1983). Ce nouvel ensemble d’œuvres en volume auquel s’ajoutent La Vie debout et Sainte Agathe (2016) s’affilient aussi au goût prononcé de Messager pour la fragmentation des corps et le panachage, visibles dans de nombreux travaux antérieurs comme les séries Mes Vœux (1988-2016), Mes Trophées (1988-2016), Lignes de la main (1987), En balance (2015), entre autres.
Les seins et les utérus deviennent alors des haïkus, des blasons, odes à la féminité célébrée sous forme de concentrés percutants et à laquelle est rendue une visibilité. Mais cette fois-ci, Messager pousse le morcellement et la dislocation jusqu’à l’éclatement (cf. Mon utérus éclate, 2016), d’où jaillissent flux, jets et taches (Mon Plaisir ; Tache prophète ; Mon Ketchup ; Bloody Mary ; Mes Lunes …) qui marquent un affranchissement radical vis-à-vis de la forme en un acte créateur joyeusement libérateur et franchement libéré.
Annette Messager articule ce voyage intérieur au cœur de la féminité avec ce qu’il peut avoir de dérangeant, voire de tabou, en effet, comme l’indique le titre d’un des dessins, l’intimité corporelle féminine reste « Mes Affaires » (2016). Toutefois, cet adjectif possessif récurent dans les titres de Messager renvoie à l’ensemble des personnalités fictives qu’elle a pu s’inventer depuis Annette Messager collectionneuse, (1971), truqueuse (1975), artiste (1976-80), colporteuse (1982-84), etc. Ce même possessif, ouvert à l’appropriation, n’occulte aucunement la résonance de ces derniers travaux avec des questions sociétales actuelles comme en témoigne la référence omniprésente aux Femen en action.
Cette exposition permet d’observer le fil rouge d’une œuvre déployée depuis des lustres avec la même puissance, de la simplicité du trait de couleur sur le papier à l’opulence d’installations spectaculaires. On reconnait la constance d'une l’ironie riante que Messager a l’élégance de mettre ne œuvre quand le sujet dont elle traite — le corps des femmes — demeure un enjeu de la plus grande vigilance. Mais profitons-en quand, ici les utérus s’éclatent et fleurissent !
Maxime Duchamps (avec galerie)
Annette Messager - A mon seul désir ->14/01/17
Galerie Marian Goodman - 66, rue du Temple75003 Paris
+ catalogue Annette Messager. À mon seul désir comprenant des illustrations, un texte de Dominique Viéville ainsi qu’un poème de l’artiste.