Julius Eastman, black, gay, minimaliste, groove et avant-garde

Bête noire de John Cage pour ses prises de position gay et révolutionnaires, chanteur du premier groupe de Meredith Monk avec sa voix à cinq octaves, pianiste véloce et chorégraphe. Tel était Julius Eastman, figure incontournable de l'intelligentsia new-yorkaise des 60/70's. Coup de projecteur.

Julius Eastman ( au centre) Gear Patrol

Figure de proue de la scène minimaliste US des années 60-70, compositeur, pianiste, acteur, danseur, chanteur lyrique, chorégraphe, Julius Eastman fut un artiste passionnant, charismatique et insaisissable. Son œuvre était pourtant tombée dans un quasi oubli avant 2013 et le projet de DJ /rupture nommé The Julius Eastman Memory Depot, un album de remixes.

Eastman était bien un de ces fameux artistes « oubliés ». Il avait été délibérément oblitéré par les universitaires, exclu des grandes anthologies musicales : incasable et intransigeant, il perturbait trop le découpage net et précis en catégories. Aucune de ses œuvres enregistrées n’était sortie de son vivant et il faudra attendre 2005 et la sortie de l’album intitulé Unjust Malaise pour entendre pour la première fois des enregistrements regroupés sur un même disque. Au printemps 2016 est ressorti Femenine, l’enregistrement d’une performance datant de 1974, qui a permis de le découvrir plus groovy que Steve Reich, sur les mêmes bases.

" Ce que j’essaie de réaliser c’est d’être ce que je suis pleinement- pleinement Noir, pleinement musicien, pleinement homosexuel." Julius Eastman

En 1970, il commence à enseigner la théorie musicale dans le département de musique de l’université de Buffalo qui à partir de la fin des années 60 accueillera de nombreux artistes noirs en résidence comme Charles Mingus et Archie Shepp. D’abord chargé de cours, Julius est nommé prof assistant pour trois ans. En mars-avril 1975 son contrat n’est pas renouvelé.

En 1973 sa performance vocale dans de Eight Songs for a Mad Kin » de Peter Maxwell Davies est décrite dans le New York Times comme du génie et lui vaut une nomination aux Grammy Awards. De son expérience avec le Creative Associates, il dira entre amertume et amusement, qu’il n’y était que le « freak talentueux qui de temps en temps injectait de la vitalité dans la programmation » et que personne ne prêtait attention à ses suggestions où à son avis.

Précédé d’une certaine réputation (sa nomination aux Grammys, sa tournée européenne et son travail sous la direction Pierre Boulez), il demeure optimiste quant à ses chances d’être enfin reconnu comme compositeur. Il va naviguer entre de multiples scènes : scène classique expérimentale, punk, disco…Il s’associe avec l’orchestre Philharmonique de Brooklyn (dirigé par Lukas Foss) pour la Brooklyn Philharmonic Communities Concert series (co-dirigé par Eastman, Tania Leon, Talib Hakim) une série de concert organisés pour faire venir un public pauvre, noir dans les salles de concert. Sublette, ami et compositeur, le présente à Arthur Russell avec lequel il collaborera dans le groupe Dinosaur L.

A propos de sa série Crazy Nigger (1978), Evil Nigger/Gay guerilla (automne 1979), il affirmait :

" La raison pour laquelle j’emploie ce mot précis est que pour moi il possède un caractère basique. Les premiers nègres étaient bien entendu, les nègres des champs sur lequel est basé le système économique américain. Sans les nègres des champs, notre grande et exceptionnelle économie n’existerait pas. C’est ce que j’appelle le premier et le grand (nègre). Ce que je veux dire par nègres, c’est cette chose qui est fondamentale ; cette personne ou chose qui va à la base au fondement, et fait fi du superficiel ou, pourrions nous dire, de l’élégant. Un nègre va à lui-même ou elle-même au fond de toute chose. Il y a beaucoup de nègres,  de nombreuses sortes de nègres. Il y a 99 noms d’Allah, et il y en a 52 de nègres. Nous jouons deux de ces nègres. "

Finalement, rejeté par tous, il quittera New-York pour retourner à Buffalo et y mourir sur le trottoir. Au terme minimaliste, Julius Eastman préférait celui de musique organique. Et c’est ainsi que beaucoup le rêvent : organique, physique, entièrement chargé de ce destin de génie noir, queer et pauvre.

Friedrich Angel

Julius Eastman - Femenine -  Frozen Reeds Records 2016

This is the première release of Julius Eastman’s Femenine, for chamber ensemble. It is the work’s only known recording, documenting a 1974 performance by the S.E.M. Ensemble (with the composer on piano) which has lain unheard for decades.