Karel Appel, musique de CoBrA
«Discours fou: Fou c'est fou / les fous sont fous / être fou c'est tout / être tout c'est fou / ne pas être fou c'est tout / être tout n'est pas fou / être fou ce n'est rien / tout est fou / fou c'est tout / parce que tout est fou / pourtant tout est fou / et ne pas être fou c'est être fou / après tout rien n'est fou / les non-fous sont fous / et les fous ne sont pas fous / fou c'est fou/ fou fou fou.»
Le travail du peintre abstrait hollandais Karel Appel, présente l’influence de Jean Dubuffet et du mouvement Art Brut, tout en affirmant un style gestuel audacieux et un rejet des valeurs culturelles et artistiques de l’art traditionnel d’après-guerre. Appel co-fonde le groupe CoBrA en 1948 avec Asger Jorn et d’autres artistes danois, belges et hollandais rassemblés autour du rejet de tout rationalisme et géométrie, préférant opter pour des pratiques plus intuitives et expressives.
On rappelle que cela reste d'une réjouissante actualité : Affranchir le quotidien de ses contraintes fonctionnelles, lui redonner de la magie par le jeu libre de situations sans cesse nouvelles signifiait refuser toute " politique " préexistante, même celle prônant l’émancipation et que l’avant-garde avait reconnue comme la " vraie " voie qu’il suffirait d’inculquer aux " masses ". Le désordre actionniste, la radicalisation, la désaliénation, le renversement des valeurs et la mise en scène ludique de situations quotidiennes concrètes devait arracher à la léthargie du " spectacle " la conscience des personnes impliquées et l’amener à la révolution permanente.
Pendant la période CoBrA, Appel refuse les conventions picturales, «barbouille au petit bonheur, comme un barbare»: «Un tableau n’est plus une construction de couleurs et de traits, mais un animal, une nuit, un cri, un être humain, il forme un tout indivisible» (Cri de liberté, 1948). Dans les années cinquante, il se rapproche de l’art informel puis de l’Action Painting, peint presque en transes des portraits et des nus. les membres de CoBrA entendaient libérer l’art de son microcosme élitiste pour en faire le produit de tous : "L’art est dans toutes les actions de gens heureux. Il intègre ensuite l'Internationale Situationniste où '’l'art est joie de vivre, il est le réflexe automatique de notre position dans la vie." C’est portés par cette revendication que Christian Dotremont, Karel Appel, Pierre Alechinsky, Constant et Corneille réalisèrent leurs toiles narratives, souvent sombres et disloquées. Tous les adeptes de ce mouvement se mirent avec une ferveur inlassable à redonner de l’envoûtement au quotidien – jusqu’en 1952, l’année où le groupe commença à se dissoudre.
A l'occasion d'un documentaire sur lui, réalisé par In 1963 par Jan Vrijman, Appel s'installe au Instituut voor Sonologie in the Netherlands, la préfiguration du l'IRCAM parisien dix ans plus tôt à Amsterdam, pour composer la B.O Du docu le concernant. Sorti à l'origine sur Philips en 1963, il resurgit aujourd'hui et c'est toujours aussi passionnant - même si cela l'est d'une point de vue historique à ce jour. Musique Barbare a été composé en collaboration avec un membre de l'Insititut, Frits Weiland et joue de toutes les ressources du studio d'alors. Il est composé en jouant de nombreuses variations de vitesses de la bande magnétique, se sert principalement d'un orgue électrique tressautant, abuse ( avec bonheur) des timbales et matraque partout des percussions. Tout cela révoque le travail sur la musique concrète de Pierre Shaeffer avec Pierre Henry à Paris, comme les premiers albums des Residents avec une volonté pop inconsciente, pour une musique réjouissante qui sonne toujours actuelle. Un coup de poker alors, mais un coup de génie.
En 1970, il entame une période plus baroque: il exécute des sculptures polychromes en aluminium ou réalise des fresques gigantesques (Bidonvilles de Lima, 1976). Il compose des portraits et des paysages en apposant sur la toile des taches de couleur empâtées Tête de chat, 1978). Après 1980, il épure, structure son travail avec les séries des Fenêtres et Miroirs, des paysages. Il peint un ensemble de nus d'après modèle vivant, délaissant son travail sur une forme dérivée de l'imaginaire. Karel Appel écrit également des textes et des poèmes, conçoit des scénographies, des décors et des costumes pour la danse ou l'opéra : la Flûte enchantée, 1995. Il a réalisé des œuvres monumentales pour des commandes comme Des oiseaux et des animaux, Rencontre avec le printemps (restaurant de l'UNESCO, Paris, 1958).
Maxime Duchamps
Musique Barbare - Karel Appel - Sub Rosa records