L'Œuvre comme fragments en pluie
Le fragment est un procédé graphique où le rapport entre le texte et l’image a permis à la fois l'émergence de la conception publicitaire et du message politique Point sur l'actualité du fragment comme œuvre.
On se souvient des recherches du Bauhaus et de De Stijl, des expérimentations graphiques des mouvements soviétiques et tchèques, des tracts iconoclastes des dadaïstes et bien sûr des collages surréalistes, sans omettre le magistral Merztbau de Kurt Schwitters, comme l’art contestataire de John Heartfield.
Dans l’art contemporain aussi, les techniques du collage et de manipulation d’images ont perduré dans les années soixante. Le Pop Art a illustré allégrement les symboles de notre société de consommation grâce à ce procédé. Des artistes importants s’en sont servis et certains l’ont même enraciné au sein même de leur art, tels Robert Rauschenberg ou Barbara Kruger dont les œuvres peuvent être analysées sous cet angle. Plus récemment, on a su redécouvrir les collages de Martha Rosler qui télescope société de consommation et guerre du Vietnam à partir d’images de presse.
L’association d’images numériques ou à l'ancienne offre un nouveau rapport à l’histoire, autorisant une transposition de celle-ci au service d’une nouvelle écriture plastique.
On retrouve ce principe chez Catherine Poncin dont la méthodologie de l’image par l’image participe du collage par des compositions en strates de fragments visuels de différentes provenances, qu’il s’agisse d’images trouvées ou d’archives. Cette artiste leur insuffle une nouvelle vie en les mariant littéralement avec ces propres photographies. Ces dernières peuvent être des éléments de réel ou des reproductions macro de tel ou tel détail d’un document ou d’une œuvre qu’elle redimensionne. L’explosion du grain, le jeu des lumières et des couleurs très contrastées, viennent nourrir la puissance visuelle et parachever l’ensemble. Le narratif resurgit, il est multiple car si l’artiste s’est forgé sa propre histoire par cette réappropriation, elle livre au regard un récit visuel ouvert à des lectures individuelles.
Claudia Huidobro n’hésite pas non plus, à couper en tranches des corps de femmes pour former de surprenantes compositions où les morceaux de chair sont reliés par des fils dont le rythme renvoie à une partition musicale surréaliste. Avec les œuvres présentées, l’artiste use de différentes chromatiques : sépia, noir et blanc, couleurs saturée ou lavées renforçant la tonalité chair des corps. L’ironie sur les diverses temporalités de l’iconographie du féminin n’en est que plus évidente. Du coup l’ensemble porte en lui une relecture critique de la perception sexuelle et consumériste du corps féminin. Pour autant, l’œuvre reste sensuelle et rend hommage à la femme et sa liberté d’être.
Les compositions de Katrien de Blauwer, réalisées à partir d’images de magazines, sont empreintes d’une atmosphère cinématographique. Elles échappent toutefois à une narration dictée qui se révèle plutôt par le hors champ, les parties manquantes remplacées par des plages de noir ou de couleur. La radicalité de la composition renforce la puissance formelle, surprenante en regard de la modestie des formats et de la restriction du nombre des parties utilisées. Cette artiste est une observatrice, analyste attentive des éléments qui fondent une photographie dans son sujet, la captation que celle-ci opère d’un morceau de réel par le cadrage, que dans l’espace même de l’image et des différents plans et chromatiques qui la composent.
Jean-Pierre Simard avec Christine Ollier
Fragments -> 2/12/16 → 14/01/17 expo collective avec : Katrien De Blauwer, Noémie Goudal, Claudia Huidobro, Anni Leppälä, Benjamin Mouly, Pablo Jomaron & Quentin Leroy, Catherine Poncin, Esther Teichmann
Galerie Les Filles du Calvaire 17, rue des Filles-du-calvaire 75003 Paris