René Magritte: non mais c'est bien sûr !
Différemment de Dali et Picasso, autrement que Delvaux ou Chirico, René Magritte a imposé la vision surréaliste au monde ébahi qui s'est laissé séduire par l'apparent classicisme du propos. Mais c'était avant qu'il s'aperçoive que la réalité en avait été changée. Et que c'était irrémédiable.
L'exposition Magritte. La trahison des images explore l'intérêt du peintre pour la philosophie, qui culmine, en 1973, avec Ceci n’est pas une pipe que publie Michel Foucault, fruit de ses échanges avec l’artiste.
A l’art de Magritte sont associés des motifs (Rideaux, Ombres, Mots, Flamme, Corps morcelés..), que le peintre agence et recompose au fil de son œuvre. L’exposition replace chacun de ces motifs dans la perspective d’un récit d’invention de la peinture, de mise en cause philosophique de nos représentations : aux rideaux, l’antique querelle du réalisme qui prit la forme d’une joute entre Zeuxis et Parrhasios ; aux mots, l’épisode biblique de l’adoration du veau d’or qui confronte la loi écrite et les images païennes ; aux flammes et aux espaces clos, l’allégorie de la caverne de Platon ; aux ombres, le récit de l’invention de la peinture relatée par Pline l’ancien.
Dans une conférence qu’il a donné en 1936, Magritte déclarait que Les affinités électives, peint en 1932, marquait un tournant dans son œuvre, signant-là son renoncement à l'automatisme, à l’arbitraire du premier surréalisme. L’œuvre, qui montre un œuf enfermé dans une cage, est la première de ses peintures vouée à la résolution de ce qu’il nomme : un « problème ». Au hasard ou à la « rencontre fortuite des machines à coudre et des parapluies », succède une méthode implacable et logique, une solution apportée aux « problèmes » de la femme, de la chaise, des souliers, de la pluie… Les recherches appliquées à ces « problèmes », qui marquent le tournant « raisonnant » de l’œuvre de Magritte, ouvrent l’exposition.
Pour affirmer la dignité intellectuelle de sa peinture, pour la hausser
au niveau de la poésie d’abord, de la philosophie ensuite, Magritte la soumet à un processus de rationalisation, en s’efforçant de doter son iconographie de l’objectivité qui est celle d’un vocabulaire. C’est le sens d’une série de tableaux (Le Dormeur téméraire, L’Alphabet des révélations, Le Thérapeute...) qui s’applique à la recension des motifs de prédilection du peintre (l’oiseau, la plume, le chapeau, la pomme, la bougie...) dont l’œuvre explore à l’infini le sens et les combinaisons. (Didier Ottinger)
La signification de ces « phonèmes iconographiques » s’enracine dans la connaissance que possède Magritte de la peinture ancienne, dans celle des récits de son invention. Rideaux, mots, flamme, ombres, fragments et collages renvoient à des légendes, des allégories, qui ont toutes en commun d’interroger le statut des images, leur relation au réel ou à la vérité. La dialectique des mots et des images s’ancre dans le récit biblique, celui la condamnation par Moïse des images dont l’adoration détourne du texte de la Loi. Les ombres sont celles que Pline l’Ancien dit être à l’origine de la peinture (des images façonnées). Magritte en rappelle les liens paradoxaux avec le réel, l’ancrage originel avec le monde des sentiments et des pulsions. Il multiplie les représentations du feu associées aux espaces clos, aux cavités et autres grottes, évoquant l’allégorie de la caverne, le récit par lequel Platon définit les hiérarchies de nos représentations et leur rapport à la vérité.
Maxime Duchamps
René Magritte - La trahison des images -> 23/01/2017
Galerie 2 - Centre Pompidou, 75004 Paris