Les dithyrambes de Markus Lüpertz
Les œuvres de Markus Lüpertz poussent dans leurs retranchements l’histoire de l’art et l’Histoire tout court. Genre doigts d’honneurs réitérés aux influences américaines et à l’hypocrisie allemande non dénazéfiée dans les têtes du début des années 60, avant de relire l’art en général, du côté de ceux qui ont fait avancer sa pratique.
Markus Lüpertz a commencé à peindre dans le climat d’après-guerre allemand, dominé par l'expressionnisme abstrait et le pop art. Comme Penck, Baselitz ou Immendorff, il va s’en émanciper pour trouver sa voie, avec une peinture idéalisée, loin de toute gestuelle ou expressivité. En 1964, avec sa série «peintures dithyrambiques », Lüpertz retrouve la figuration, tout en apportant sa contribution à l’abstraction : sur des toiles de très grand format, il simplifie la forme et grossit les détails, inventant des formes aussi inédites que frappantes.
Dès la fin des 60’s, il multiplie dans ses grands formats les références à l’histoire contemporaine, avec une forte distanciation. Et, à partir de 1980, revisite les figures mythologiques, les thèmes antiques et emprunte son iconographie aux maîtres anciens (Poussin, Goya, Courbet...). Il instaure un dialogue entre peinture et sculpture, figuratif et abstrait, passé et présent pour une nouvelle lecture de l’histoire de l’art moderne.
Ça c’est pour le discours policé sur l’art, la doxa, car tout l’humour de ce dandy de la peinture qui ne refuse pas les honneurs, il a même dirigé l’Académie des Beaux Arts de Düsseldorf de 1988 à 2009, est dans sa geste. Qu’il explose les canons du pop art avec sa série des Donald Duck qui délirent en couleurs sur l’approximation de la figure en une sorte de vrai dithyrambe pris au pied de la lettre (poème en l'honneur de Dionysos, improvisé par les buveurs en délire, chanté par un chœur d'hommes déguisés en satyres, et caractérisé par une verve, un enthousiasme exubérants et désordonnés), ou qu’il témoigne de différents climats de guerre, il reste un peintre politique, au sens du Picasso de Guernica, ancré dans le monde, en Europe. Ses œuvres, peintures et sculptures témoignent de sa pratique, en la poussant dans tous les retranchements de l’histoire de l’art et même de l’Histoire. Genre doigts d’honneurs réitérés aux influences américaines et à l’hypocrisie allemande non dénazéfiée dans les têtes du début des années 60, avant de relire l’art en général, du côté de ceux qui ont fait avancer sa pratique.
A la fin des années 1960, apparaissent des motifs historiquement chargés : uniformes, casques et casquettes de soldat de l’armée allemande nazie. En associant ces motifs à d’autres plus neutres, Lüpertz brouille toute lecture univoque de son travail, le motif étant choisi en fonction de son potentiel formel. L’acceptation de la contradiction et la recherche permanente d’une distanciation amènent l’artiste, en 1966, à la publication de son manifeste dithyrambique : « Kunst, die im Wege steht [L’Art qui dérange] ».
Cherchant la confrontation continuelle entre figuration et abstraction, Lüpertz crée, à la fin des années 1970, une série de « peinture de style ». Le peintre y renonce au motif – la forme étant, comme il l’explique, devenue le motif. Il recourt à des procédés suggérant, dans une paraphrase picturale, les effets du collage. En 1985, il s’intéresse aux grandes figures de l’histoire de l’art (Poussin, Goya, Courbet, Picasso en revisitant, en peinture et en sculpture, les thèmes de la mythologie grecque. La quête classique d’un équilibre parfait et harmonieux dans la représentation humaine s’y trouve rompue par une déformation ou une fragmentation du corps. L’usage de la couleur rapprochant son œuvre du baroque.
Le principal intérêt de la rétrospective est de proposer un parcours à rebours des œuvres de l’Arcadie de 2013/2015 à ses premières œuvres des années 60, dévoilant une palette de techniques assez ahurissante de diversité et d’approches. Lüpertz est un vrai penseur de l’art, malicieux et magistral. Soient donc 140 œuvres choc pour un demi siècle de peintures et sculptures remarquables. Une des grandes expositions de 2015.
Markus Lüpertz Une rétrospective jusqu’au 19 juillet 2015 Musée d’Art moderne de la Ville de Paris - 11, avenue du Président Wilson 75116 Paris Mardi au dimanche de 10h à 18h (fermeture des caisses à 17h15). Nocturne le jeudi de 18h à 22h seulement pour les expositions (fermeture des caisses à 21h15)