Des guillemets, des frites et de Christian Estrosi

Les élections approchent et dans ma ville s’étalent partout les affiches de la liste Estrosi, dont le brillant slogan n’est rien de moins que : “Ça va changer”, guillemets compris. Un billet de l'écrivain Daniel Da Silva sur l’usage parfois curieux que ses contemporains font des guillemets.

Une chose m’a toujours amusé : l’usage parfois curieux que mes contemporains font des guillemets. J’en ai eu récemment sous les yeux deux exemples. Le premier est un classique du genre. La carte d’un restaurant me signalait que tous leurs plats étaient accompagnés, je cite, de frites “maison”. L’expression est pourtant ancienne dans l’hôtellerie, on l’emploie facilement depuis un siècle et demi, mais il faut croire que le rédacteur a jugé dans ce cas qu’elle était cavalière, trop familière — je cherche une bonne raison. Sauf que j’y lis, moi, invinciblement, des guillemets d’ironie, lesquels auraient tendance à me faire douter sérieusement que ces frites maison soient vraiment maison. De toute évidence cependant, on n’a pas voulu, ici, me faire comprendre en douce que ces frites prétendument maison sont en fait industrielles. Mais le doute demeure, le ver est dans le fruit, et par la faute de ces guillemets impropres ces frites m’inspirent de la suspicion. 
Second exemple, plus épineux. Les élections approchent et dans ma ville s’étalent partout les affiches de la liste Estrosi, dont le brillant slogan n’est rien de moins que : “Ça va changer”, guillemets compris. Regardez si vous ne me croyez pas. 

Sur les instances de mes yeux qui saignaient, j'ai finalement préféré mettre un lien vers l'affiche en question et illustrer ce billet par l'un des résultats de la recherche "inverted commas" dans Google Images.

Sur les instances de mes yeux qui saignaient, j'ai finalement préféré mettre un lien vers l'affiche en question et illustrer ce billet par l'un des résultats de la recherche "inverted commas" dans Google Images.

Mais là, l’embarras est plus vaste, ce ne sont pas seulement les guillemets et leur involontaire ironie qui posent problème, bien qu’ils soient (je parle pour moi) aussi cocasses que perturbants. Car en effet, que recouvre au juste le “Ça” ? La région Paca, qui changerait grâce à M. Estrosi ? M. Estrosi lui-même, qui nous changerait des autres (ça m’étonnerait) ? Cite-t-on ce dernier au discours direct ? Est-ce tout ce qu’il a à nous dire, que ça (on ne sait pas quoi) va (on ne sait pas quand) changer (on ne sait pas comment) ? Je me demande si un tel degré d’imprécision et, disons-le, de nullité a jamais été atteint par un slogan avant celui-ci — ce qui est un tour de force, vu qu’on nous promet le changement depuis qu’il existe des isoloirs. On notera également que ce style familier possède, je ne sais pourquoi, un petit air menaçant, renforcé d’ailleurs, à mon avis, par l’absence de ponctuation finale, étant donné les guillemets : un point d’exclamation aurait rendu la chose à la fois plus inoffensive et plus conne (c’est donc possible !), des points de suspension l’aurait dotée d’un peu de mystère… En l'état, elle fait froid dans le dos.  


Reste une dernière question : une agence de communication a-t-elle été payée grassement pour trouver “ça”, ou serait-ce un slogan maison ?

Didier Da Silva

Pour trouver d'autres histoires, semblables ou non, visitez "Danses de travers", le blog de l'écrivain Didier Da Silva (Derniers parus : L'ironie du sort (L'Arbre Vengeur2014), Louange et épuisement d'Un jour sans fin (Hélium, 2015).