Toshiki Okada : nous avons de la cruauté en magasin
Comme le Clash autrefois criait vengeance de se voir refuser son droit à la consommation par trop d'offre, le théâtre de Toshiki Okada creuse l'inconscient nippon à coup de pièces au vitriol qui s'appuient souvent sur l'actualité la plus pressante. Ici, on admire d'étranges chorégraphies de clients, machines, managers dans ce supermarché infernal. On est allé voir cette pièce, qui passe en ce moment à Paris, et on a trouvé ça formidable.
"I am lost in the supermarket, I can no longer shop happily, I came in here for that special offer, a guaranted personality ..."
Comme le Clash autrefois criait vengeance de se voir refuser son droit à la consommation par trop d'offre, Toshiki Okada creuse l'inconscient nippon à coup de pièces au vitriol qui s'appuient souvent sur l'actualité la plus pressante. Ici, on admire d'étranges chorégraphies de clients, machines, managers dans ce supermarché infernal, lieu de toutes les contradictions du Japon. Mais en 2015, existe-t-il encore une issue à cette impasse consumériste? Explications sur fond (cheap) de Clavier bien Tempéré... par un brechtien nouvelle manière.
Toshiki Okada a situé sa dernière création, Super Premium Soft Double Vanilla Rich, dans un des piliers de la vie quotidienne des citadins : un supermarché ouvert 24h/24h, tel qu’on peut en trouver à chaque coin de rue de toute métropole japonaise. Ouverts et éclairés toute la nuit, ces minitemples de la consommation symbolisent les contradictions d’un Japon autant marqué par la catastrophe nucléaire de Fukushima, qu'il s'avère incapable de modifier en profondeur son mode de vie.
"Au Japon, le consumérisme est poussé jusqu’à l’excès, si bien que les gens travaillent dans le simple but de pouvoir consommer. Beaucoup de Japonais sont frustrés et développent une rancoeur à l’égard d’autres personnes, même s’ils essaient de cacher ces sentiments. Le monde du travail dans notre société pourrait être décrit comme profondément dérangeant. Il nous envahit, nous, les êtres humains." (Toshiki Okada )
Autour de sept personnages, Okada et sa compagnie chelftisch dessinent les relations de hiérarchie et de dépendance qui relient produits, clients, employés précaires, gérant de magasin et responsable commercial, et poursuivent ainsi une réflexion autour du travail et de la liberté, entamée avec Free Time (2008) et prolongée avec la trilogie Hot Pepper, Air Conditioner and The Farewell Speech (2010).
Obsédés par des impératifs de rentabilité et envahis par des produits superflus, les personnages sont sans cesse pressurisés, soumis aux signes codifiés d’une politesse de surface et envahis par le rythme buté des machines informatiques.
"Pour moi, la seule méthode que j’utilise pour chorégraphier – si tant est qu’on puisse me définir comme un chorégraphe – c’est de donner le texte aux acteurs. Quand j’écris, il n’est pas rare que mon objectif soit de savoir quel genre de mouvements va en sortir. En revanche, je ne corrige jamais le texte dans l’idée d’aboutir à des mouvements plus intéressants. C’est pourquoi dans la conception de mes pièces, texte et mouvements me semblent presque indissociables." (Toshiki Okada )
Se déploie alors un langage scénique précis et étrange, à la lisière de l’implosion : infiltré par la novlangue du néolibéralisme et son optimisme forcé et mercantile, le texte écrit par Toshiki Okada entre en collision avec une chorégraphie névrotique, tous deux rythmés par une version aseptisée du Clavier bien tempéré de Bach.
" J’ai pensé qu’utiliser Le Clavier bien tempéré était une bonne idée pour creuser différentes oppositions en termes de signification. Parmi celles-ci, l’opposition entre Occident et Orient n’est pas importante. Ce qui l’est au contraire, c’est l’opposition entre la pureté et le sublime d’une part, et une réalité vulgaire et insignifiante d’autre part. Cela dit, en proposant ce morceau dans un arrangement plutôt cheap, on obtient quelque chose d’assez proche d’une musique de supermarché." (Toshiki Okada )
Super Premium Soft Double Vanilla Rich
> Spectacle japonais, surtitré en français. Durée : 1h40
MAISON DE LA CULTURE DU JAPON à PARIS 101 bis, quai Branly, 75015 Paris Du mercredi 18 au samedi 21 novembre, mercredi au vendredi 20h et le samedi 15h et 20h 18€ à 22€ // Abonnement 14€