"Soviet Ghosts", les ruines d'un rêve, par Rebecca Litchfield
L'homme n'a pas de raison de cacher son goût pour le spectacle des ruines. Il ne date pas d'aujourd'hui. Pas besoin de Champollion pour décrypter l'utilisation qui sera faite de "Soviet Ghosts", le livre de Rebecca Litchfield sur la rapide désintégration des symboles de l'ère soviétique. Mais on pourrait aussi bien montrer des photos de Detroit dévasté pour conclure à la faillite du capitalisme. Ce qui nous a intéressé dans la démarche de cette photographe, c'est plutôt son absence de jugement politique sur ce qu'elle voit essentiellement comme une dangereuse beauté. Et le fait qu'elle se soit spécialisée dans ce qu'on a commencé à appeler l'exploration urbaine. La recherche de lieux étranges et surréels tout autour de nous, ces beaux mort-vivants qu'elle appelle des Musées. Et nous invite à visiter.
"Nous travaillons à quatre, Konstantine, Igor, Ian et moi. Pas plus pour pouvoir nous faufiler sans être remarqués. Entrer dans ce gymnase n'a pas été une partie de plaisir, mais cela valait la peine. Nous avons été accueillis avec cette énorme fresque soviétique sur le thème du sport et une salle pleine de balles en plastique. Le communisme a considéré les loisirs très différemment des pays occidentaux. L'État s'efforçait de tout contrôler, au travail comme hors du travail. L'excellence sportive a été prisée, et les succèes de l'URSS vantés comme une preuve de la supériorité du communisme à tous les égards.
"Je m'abstiens d'avoir des opinions personnelles sur l'époque. J'essaie de rester relativement neutre. La période soviétique a certainement eu ses mauvais moments, mais les gens qui vivaient à l'époque ont aussi connu de bons moments, et le pays aussi, ce n'était pas une période qu'on peut juger en des termes aussi simples que tout noir ou tout blanc. L'objectif de mon livre était de simplement capturer ce qu'il en restait maintenant. Certains endroits avaient dû être prospères, et d'autres horribles, cela se reflète dans mon livre, et le texte qui l'accompagne. Mais c'est la vie, le temps passe, et ce genre de choses disparaissent.
Des gens peuvent penser en voyant les ruines que leur vision est destructrice, nous pousse à douter de tout, et ne plus rien entreprendre, mais je vois la beauté dans la désintégration, comme une mémoire accroché qui sera bientôt perdu dans une brise, un musée que personne ne peut aller visiter."
"Nous avons trouvé cet endroit juste avant de partir pour l'aéroport. C'était un centre de communications par satellite, et la folie, c'est qu'il y avait encore des documents partout. Konstantine nous a dit que certains d'entre eux étaient top secret. Nous sommes également tombés sur un camion en décomposition, avec tout autour de vieilles chapkas éparpillées sur le sol. Ce qui était plutôt une bonne trouvaille. Et nous avons effrayé des homeless, qui ont dû se demander ce que nous faisions par là, et ont pris leurs jambes à leur cou."
"Je me tiens sur une plateforme en bois, pas trop sûre d'être en sécurité. En fait, plus tard, de retour sur le sol, en levant les yeux, je me suis rendue compte que la plate-forme aurait très bien pu partir en morceaux. Mais bon, j'ai décidé une fois pour toutes que quitte à mourir, autant que ce soit en train de faire quelque chose d'incroyable. Cela avait pris une heure de grimper les échelons métalliques gelés, une épreuve d'endurance, parfois nous nous demandions si ça valait le coup. Je ne sentais plus mes mains. L'échelle devenait de plus en plus étroite. Pour continuer à grimper, nous avons dû laisser nos sacs derrière nous. Je crois que nous aurions renoncé si Nicola et Jonathan ne nous avaient pas encouragé depuis là-haut. Ils y étaient parvenus. Nous le pouvons aussi.
Rien n'aurait pu me préparer au spectacle qui m'attendait quand j'ai ouvert la trappe pour arriver sur le toit. L'ampleur de la nature m'a frappé pour la première fois. Ce ne m'est pas arrivé souvent d'être laissée sans voix dans mon existence, mais là, debout, au-dessus des nuages, voir le soleil s'enfoncer sous moi, dans un halo rouge et rose, c'était extraordinaire. Un de ces moments éthérés dans la vie, qui ne vous quitteront jamais, parce se trouver là, debout, au sommet d'une tour haute de 70 mètres, elle-même posée au sommet d'une montagne haute de 1441 mètres, et voir le plus beau coucher de soleil de votre vie avec des amis, c'est un moment qu'on n'oublie pas."
"Nous étions face au formidable "monument idéologique" de Buzludha, créé par le Parti Communiste Bulgare. Il avait été inauguré en 1981 (l'année avant ma naissance) pour l'anniversaire de la création de la République de Bulgarie. Il fallut sept ans pour le construire, et vingt des meilleurs artistes du pays furent commissionnés pour créer les mosaïques d'une extravagante beauté qui couvraient les murs de l'immense amphithéâtre maintenant sous la neige, tombée de la coupole en ruine."
Rebecca Litchfield
Littéralement excellent. Enfin une bonne raison d'aimer le monde en ruine !