L'AUTRE QUOTIDIEN

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Le retour des rastas triomphants du Junior Byles de "Beat Down Babylon"

Si le nom de Junior Byles ne dit a priori pas grand chose, en creusant un peu, on apprend qu’il a remplacé avec son groupe les Wailers en studio auprès de Lee Perry et qu’il est le chanteur du “Curly Locks”, des Upsetters. “Beat Down Babylon”, qui ressort gorgé de bonus, est aussi le premier album reggae roots triomphant : rastafarisme, engagement politique, voix et compositions nickel - et Lee Perry à la production. Un classique augmenté.

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Né à Jonestown en 1948, Junior Byles s'est d'abord fait connaître au sein du trio vocal The Versatiles, aux côtés de Dudley Earl et de Louie Davis. Ils ont enregistré avec un certain succès pour Joe Gibbs pendant l'ère du rockteady, mais au début des 70’s, Byles s'est lancé dans une carrière solo. Lee Perry était conscient de ses capacités, ayant repéré le groupe lors du Festival Song Contest de Jamaïque à la fin des années 60.

Lee a commencé à enregistrer avec Junior Byles en 1970 avec What's The World Coming To, qui figure sur l'album sous son autre titre Demonstration (And Protest). Ce single a été suivi par Place In Africa, un classique afro-centrique largement diffusé, où Junior raconte l'histoire d'un jeune en quête de ses racines, loin des côtes jamaïcaines. Mais la véritable percée a lieu avec le single Beat Down Babylon, un classique instantané, immensément populaire en Jamaïque. Tout était parfait, depuis les paroles de Rastafari de Byles qui triomphe enfin des oppresseurs, jusqu'à ses talents de chanteur étincelants, en passant par le parfait accompagnement instrumental et, bien sûr, avec Perry en studio pour faire tourner le rythme. Naturellement, le carton du single aidant, un album voit le jour à l’hiver 1972

Beat Down Babylon est une tuerie. Enregistré au studio Dynamics de Perry, assisté de Barrington Lambert et Carlton Lee, le disque transcende le format collection de tubes qui domine alors la scène reggae. En plus de sa palette de classiques, c’est une œuvre d'art ; une des premières cartes de visite du reggae roots, avec croyances rastafariennes et préoccupations sociales qui se posent au fil de l’album pour en donner le ton. Le bonheur étant que cela arrive en finesse, plus dans l’esprit qu’avec des slogans et sans prêchi-prêcha. Le top du roots pour employer des mots qui cognent à la vitre, servi par des compléments dub qui frisent la perfection- allô Curley Locks, voire Matter Of Time et son R&B, offrant le cadre idéal pour que la voix de Junior prenne son envol.

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L’album commence de manière atypique avec (Festival) Da Da, sans aucun message social mais porteur de la présence de Junior. Les autres singles sont de qualité égales, comme le cool et militant I've Got A Feeling ou le lent et séduisant Coming Again. Don't Know Why n'est pas le meilleur texte de Byles, mais il est amélioré d’une subtile partie au piano qui en relève le niveau Joshua's Desire a des lignes mélodiques soignées qui font référence à Michael Manley, le leader du People's National Party, qui se voyait en Joshua, le personnage biblique.

Passant du bonheur rasta au questionnement sur son parcours, Beat Down Babylon était une production largement au-dessus de la plupart des albums de l'époque, en affichant une thématique et un son cohérent de bout en bout. Les bonus ajoutés à ce disque sont des chansons de la même époque et leurs versions dub. Perry est dans son élément en ajoutant ses onomatopées au rythme de Beat Down Babylon sur Righteous Oily et sur (Festival) Da Da, rebaptisé Come Da Da. Informer Man reprend le rythme de Beat Down avec le DJ/toaster Jah T. Et celui-ci renvoie ensuite sa version cool avec les Upsetters Outformer Man. Byles étant en phase avec la situation politique et sociale de la Jamaïque, avant les élections générales de 1972, Junior a montré son soutien au PNP avec son single King Of Babylon, en choisissant le leader travailliste Hugh Shearer comme pharaon égyptien. Sa version dub Nezbuchadnezzer fait un bel usage du drop out. Ce premier disque se termine avec la version originale de The Thanks We Get des Versatiles datant de la fin des 60’s.

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Le second disque dévoile les autres enregistrements de Byles avec Lee Perry, dont l'excellente chanson d'amour rasta Curley Locks, grand succès de 1974 ; suivi de deux versions dub et toastées, Lock And Key et Dreader Locks. Perry y fait fondre le rythme en envoyant l’écho qui fait la différence (et le dub). Rasta No Pick Pocket est assez fun, le classique qui réprimande les rude boys qui ont utilisé le rastafarisme pour s’en mettre plein les fouilles… When Will Better Come montre la distanciation prise par Junior avec le PNP au pouvoir lorsque les choses ne se sont pas améliorées pour le Jamaïcain moyen et, à l'opposé, Pretty Fe True est une chanson d'amour reggae qui fait rêver.- on se console comme on peut …  Et tout se termine par une autre version de Curley Locks qui reprend les cuivres de l'original et un arrangement agréablement alimenté par un superbe travail d'orgue.

Après avoir rompu avec Perry, Byles a fait le tour des producteurs de Kingston, enregistrant à nouveau avec Niney The Observer et Gibbs. Au fil des ans, Junior a été confronté à divers problèmes de santé qui l'ont éloigné des enregistrements et concerts, le réduisant même au statut de sans abri à un moment donné, avant de finir par emménager dans la maison de son père à Kingston dans les années 1990. Junior, reclus et pas au top mentalement, sa fille Christine a organisé un concert de bienfaisance en 2019 pour payer ses frais médicaux et lui permettre de retrouver une stabilité financière. On lui a pour l’occasion remis un Lifetime Achievement Award le 9/02/2019. Ne serait-ce que pour cet album, c’est amplement mérité. Enjoy ! Des fois, le Life Is Hard and Then You Die n’est pas directement au rendez-vous. Et c’est tant mieux.

Jean-Pierre Simard le 17/11/2020
Junior Byles - Beat Down Babylon - Trojan