Flipper dans le bus avec le Kaddish de Ginsberg retraduit par Nicolas Richard
À 30 ans, Allen Ginsberg apprend la mort de sa mère, Naomi, confrontée depuis longtemps à la maladie mentale. Affecté en mission sur un bateau, il ne pourra assister à son enterrement. Il lui faudra trois années pour achever le poème qu’il lui a dédié. En choisissant pour ce recueil le titre de Kaddish, qui fait référence à la prière des morts, Allen Ginsberg célèbre la mémoire de sa mère sans épargner au lecteur ses facettes les plus sombres et contradictoires, entre détresse, folie, tendresse et descente aux enfers.
Second recueil poétique de Ginsberg paru en 1961 en anglais, comportant un long poème narratif et une quinzaine d’autres courts poèmes – nombre d’entre eux ayant été écrits sous influence –, Kaddish est l’une des oeuvres marquantes de l’univers sulfureux de la Beat Generation. Si « Howl » demeure le poème le plus célèbre de Ginsberg, « Kaddish » est assurément sa plus grande réussite et cette nouvelle traduction permet de redécouvrir avec une fraîcheur nouvelle ce qui se passe sous un crâne quand rugit la tempête, dans une écriture reproduisant les courts-circuits de la pensée, ses saccades et secousses, pour atteindre à l’authenticité des sentiments et des sensations à laquelle aspirait Allen Ginsberg
On préférerait tous échapper à la mort de nos proches, et de nos parents en particulier. Ne pas subir ce moment qui donne le frisson de l’infini en lui collant une substance mort qui jamais plus ne disparaîtra, comme une présence sournoise et diffuse en arrière-plan. Alors, imaginez maintenant un Ginsberg à l’armée qui apprend la mort de sa mère Naomi, enfermée depuis des lustres dans un hôpital psychiatrique, sans avoir la possibilité d’assister à son Kaddish ( la prière des morts juifs), en gardant le souvenir d’une mère juste apte à ressasser ses angoisses et son complotisme jusqu’à en oublier les visites de ses proches en cours pour se diluer dans ses psychoses.
Dit comme ça, c’est du Sautet (de veau). Mais, de la confusion provoquée par ce décès, Ginsberg va trouver la forme explosive et libératrice de son poème ( qui va faire grand bruit), en repartant du souvenir de ses 12 ans; où il dut accompagner seul Naomi en bus, dans un asile. Et, de là, faire ressortir son malheur, ses souvenirs et les moments de partage/non partage avec elle, en surfant le fleuve de sa mémoire, de ses sensations, de ses envies et de ses manques. Je vous en donne, plus haut, une lecture par l’artiste lui-même, à écouter en lisant ce papier, avant d’attaquer la traduction limpide de Nicolas Richard.
Ginsberg pariant sur son homosexualité. Ginsberg se dévoilant les tripes comme jamais; en essayant de lâcher prise. Ginsberg trouvant des rythmes, des punch lines, des formes à accoucher. Ginsberg pariant sur l’impossible et trouvant sa sortie. C’est tout cela Kaddish. Et encore plus, à baliser impitoyablement l’univers de la Beat Generation ; mais pour le savoir, il faudra le lire. A vous de jouer et de sentir.
Jean-Pierre Simard le 7/02/2024
Allen Ginsberg - Kaddish et autres poèmes - Editions Bourgois 2024