Laurent Garnier : 33 Tours et puis s'en vont ?, comme un dépassement du monde d'avant

K.O. debout en 2020 par le Covid, Garnier rejette un temps la techno : "Cette musique, qui à mes yeux avait toujours représenté le son du futur, n’avait plus aucun sens en ces temps incertains", écrit-il dans un communiqué. Et quand votre monde est bâti autour, les questions affluent : "Est-ce que je serai capable de retourner mixer lorsque tout reviendra à la normale ? Serai-je encore pertinent ? À mon âge ? Qu’ai-je encore à dire, à construire, à faire valoir, à contribuer ? Pour qui ? Pourquoi ? Comment ? !" Son double et dernier (?) album s’intitule 33 Tours et puis s’en vont…, somptueuse mise au point technicolor de 2,41 heures.

Plusieurs mois plus tard, il rallume les synthés et se lance à l’assaut de ses doutes pour  déverser ses émotions via une techno puissante et langoureuse, retrouver le bouillonnement des clubs et partager l’énergie des foules. Redevenir DJ. Mais, on apprenait, il y a peu, que sa santé de quinquagénaire lui jouait des tours et qu’il devait annuler pour six mois la mise en avant de son dernier et meilleur album toutes époques confondus, pour simplement continuer à vivre - et même devoir l’envisager autrement… 

Toujours aussi perfectionniste, le créateur de  Crispy Bacon ou The Man With The Red Face  a voulu proposer cet album sous toutes les coutures, du triple vinyle au CD en passant par le digital et la cassette, chacun serti d’une tracklist différente, à chaque fois la plus assortie au medium, selon le maestro. Ainsi, l’étonnante drum’n’bass de Sado Miso ne se retrouve pas dans la version vinyle, tout comme les hommages de  Multiple Tributes (to multiple people, for multiple reasons), ni… et puis s’en va !. D’autres pistes sont exclusives aux sillons de son triple-vinyle : On the REcorD (part 3), Closer To You, Cinq o clock in le matin, Give me some sulfites et Granulator Bordelum.

Ce disque voit Laurent Garnier se colleter avec le hip-hop sur In Your Phase, en featuring avec les méconnus 22Carbone, ressusciter la voix du punk  Alan Vega  sur Saturn Drive Triplex ou s’amuser avec son pote Scan X sur  Closer To You et  rappelle la puissance de production du français qui, à 57 ans, est toujours l’un des créateurs les plus percutants de la scène européenne. À l’heure du streaming, des réseaux et des chiffres, il n’a aucunement peur de proposer un canevas digital de près de trois heures de musique, comportant des tracks sous haute tension  dépassant par moments les 11 minutes, comme si derrière cela se cachait une volonté de faire durer au maximum ce potentiel "dernier tour de piste". Mais l’homme trouvera comment agir en suivant sûrement d’autres routes, même moins nocturnes.

Et là où il est génial, c’est quand/qu’il propose un manifeste techno de l’année, avec son unique capacité à transmettre des émotions, faire parler une musique qui ne comporte (presque) pas de paroles, se voyant décuplée dans ce projet cinq étoiles qui devrait résonner dans les oreilles de quiconque aime la techno.

Symboliquement, en agissant de la sorte, il fait un bilan et pousse le bouchon/curseur un peu plus loin, à vouloir donner l’image de quelque chose de toujours vivant et inventif, de toujours vivant et lumineux, de toujours vivant avec une œuvre à partager. Se pose alors la question du comment, mais à cela seule sa remise en forme niveau santé nous le dira. Vous avez 2,41 heures pour suivre le parcours, pour un premier survol. Le reste c’est à vous de l’envisager, la Macronie ne laissant que très peu d’espace à ceux qui ne font pas preuve d’imagination dans leur propre vie. En affirmant, j’ai 57 ans, je ne suis pas au mieux de ma forme- mais suis quand même capable de vous pondre ça ( qui tue!), cela peut ouvrir certaines perspectives à ceux qui en manqueraient … 

Un Laurent Garnier qui confiait dernièrement à Oliver Lam pour Libé :

A quel moment avez-vous compris que cet album aurait cet aspect de bilan ?

Dès que j’ai trouvé le titre. Je ne sais pas trop comment d’ailleurs m’est venue cette chanson, Ainsi font font font. Je comprends mieux comment s’est fait le lien avec l’univers des manèges, les jetons sur la pochette. Je reviens à mes racines. Tout petit, mon père était forain. Mes grands-parents étaient forains. Quand j’allais à la Fête des loges, à la Foire du trône, je ne payais pas les manèges. Pourquoi j’adorais ça ? Parce que c’est cool de se faire balancer dans tous les sens, mais surtout parce qu’on y joue de la musique très fort. Et il y a des lumières. C’est là que j’ai écouté mes premiers disques, où j’ai ressenti mes premières émotions musicales.

Jean-Pierre Simard le 12/06/2023
Laurent Garnier - 33 Tours et puis s’en vont …  COD3 QR

pochette du cd

pochette vinyle