Danser avec l'électro-cajón de Ale Hop et Laura Robles

Aujourd'hui, on sort danser en boîte, mais là on danse aussi avec la boîte, offrant à cet ancien instrument des esclaves péruviens un nouveau débouché après avoir été la base de leur musique jusqu’à la fin de la colonisation. Électro, c’est jamais trop !

Le cajón a une histoire radicale. Cet instrument de percussion en forme de boîte est aujourd'hui couramment utilisé dans les installations acoustiques, mais il a vu le jour au Pérou, au XIXe siècle, comme un moyen de fortune pour les esclaves de défier les restrictions coloniales espagnoles en matière de musique. Les travailleurs posaient leurs caisses en bois et commençaient à les utiliser comme tambours, battant des rythmes et produisant des danses qui, depuis, font partie de la tradition folklorique. Pour l'artiste péruvien Ale Hop et la percussionniste Laura Robles, tous deux résidents Berlinois, le passé subversif du cajon a été occulté par son omniprésence contemporaine. Sur leur premier album, Agua Dulce, ils présentent neuf morceaux de rythmes de cajón traités électroniquement et déconstruits, dans le but de reconnecter un son percussif avec ses racines rebelles.

Le premier morceau, Son de los Diablos, donne le ton. Tirant son nom d'une danse traditionnelle afro-péruvienne, le cajon électrique de Robles tonne à travers la réverbération fuzzée et donne au rythme scintillant de l'original une charge menaçante et industrielle, complétée par la basse synthétisée de Hop. L'atmosphère sombre se poursuit sur la lenteur d'une autre danse folklorique, Lamento, tandis que le rythme galopant de Fuga en Alcatraz oppose la dextérité du cajón de Robles à une sinistre tonalité de synthétiseur qui résonne tout au long des sept minutes du morceau.

Chaque composition se situe entre l'établissement d'un groove stable et dansant et son effondrement, ce qui rend l'écoute souvent déroutante. Le morceau-titre fait entrer et sortir le rythme du cajon sur des grincements électroniques comme une vague ondulante, tandis que Defensoras del Morro passe plus rapidement de la techno au breakbeat avant de s'achever brusquement.

Ces contextes imprévisibles et ces éléments électrifiés poussent le cajon vers de nouveaux territoires passionnants, loin des jams folkloriques acoustiques dans lesquels on le trouve souvent aujourd'hui. En faisant exploser le son des basses et en permettant aux registres supérieurs de siffler avec la réverbération, le duo crée une réimagination moderne de la puissance brute de l'instrument, de sa tension cardiaque et de son sens physique de la catharsis. Nicola Conte doit soudain se sentir moins seul …  Recommandé !

Jean-Pierre Simard le 19/06/2023
Ale Hop & Laura Robles – Agua Dulce - Buh Records