Détournant les clichés et les archétypes, ce western met en avant les seconds rôles de la conquête de l’Ouest réunis autour de son croque-mort de héros. Un personnage étonnant plus proche du dandy baudelairien que du fossoyeur chez Lucky Luke, un anti-héros muni d’une pelle qui permet d’aller creuser ce mythe américain.

Aujourd’hui sort le cinquième opus de la saga Stern, un nouvel épisode de la vie mouvementée de ce héros atypique imaginé par les frères Frédéric & Julien Maffre, qui offre cette fois d’en savoir un peu plus sur la psyché du personnage. À chaque épisode, le duo s’ingénie à explorer le folklore du western avec un pas de côté, une manière de revisiter ce genre déjà bien exploité en exploitant toutes les figures ou clichés. Et pour ce faire, ils ont choisi comme guide, un étonnant personnage qui ouvre d’autres perspectives sur cette Amérique encore sauvage, un croque-mort. 

Silhouette noire, coiffure ailes de corbeau, regard froid, le fossoyeur municipal se démarque sur chaque planche de cette série. Elijah Stern détonne avec son intégrité qui lui joue des tours et son côté nonchalant qui en énerve plus d’un au pays des armes à feu. Mais plus dangereux qu’un pistolero, Stern est un héros qui lit.

« Permettez-moi de regarder dans vos yeux ! Les yeux d’un homme, c’est un miroir, des lunettes magiques. »

Une citation tirée de Moby Dick d’Herman Melville, un livre important pour Stern, puisqu’il va sceller son amitié avec Lenny et résonner avec l’intrigue du premier opus. Par la suite, la lecture sera un des moteurs des intrigues de la série. Et à travers ce parti-pris, Frédéric & Julien Maffre traitent de la place de la Culture dans un monde où elle est peu présente habituellement. Une idée lumineuse, qui ne se limite pas aux livres puisque l’on croise aussi un musicien, un peintre, un dessinateur … qui sont à chaque fois défenseurs et tributaires de leurs arts. Ou qui peuvent parfois en tirer parti en écrivant sa propre légende …

Une particularité de taille dans cette série qui entend bien jouer avec les codes et les clichés du genre, et d’autres, en jouant avec les références des lecteur.trice.s. Et pour cela les auteurs jouent sur plusieurs niveaux de lecture. Tout en déroulant le fil rouge de la vie de Stern, on découvre au fil des volumes, un regard sur les genres avec un premier tome façon enquête, un deuxième choral, un troisième sur le western, un quatrième sur le gothique et ce cinquième sur le thème de l’évasion/prison. Avec également un jeu sur le rythme des saisons, un focus à chaque volume sur les archétypes du western et un jeu sur les lieux qui passent crescendo de la petite ville à la ville moyenne puis la grouillante Nouvelle-Orléans. 

Si l’action n’est pas en reste dans Stern, Elijah Stern n’utilise pas d’arme à feu dans ce monde de cow-boys sur-armés. Il sait se défendre et ne se laisse pas faire, mais préfère rester en retrait. Une manière pour les auteurs d’évoquer des problèmes du quotidien ou des thématiques plus profondes en questionnant les actions et les personnages. À l’image de ce croque-mort qui ne correspond pas aux stéréotypes de sa profession, ce western cache d’autres secrets derrière les apparats du genre. 

Le dessin de Julien Maffre participe de ce jeu littéraire avec ces personnages très anguleux, ces visages marqués et cartoonesques dans des décors très réalistes. Le trait rehaussé de lavis, avant de passer à l’aquarelle pour les couleurs, donne un ton suranné qui colle parfaitement avec le projet, tranchant avec les visages caricaturés pour les ancrer dans le réel malgré leur déformation. 

Jouant sur ce fil, entre effets de réalisme et cartoon, entre attentes et surprises, Frédéric & Julien Maffre ancrent leur série dans nos imaginaires. En témoignent les pages de garde qui jouent avec la temporalité et font vivre le personnage au-delà de l’aventure de chaque album. 

Thomas Mourier le 8/05/2023

Frédéric Maffre & Julien Maffre- Stern - Dargaud (5 volumes dispo)

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