L'AUTRE QUOTIDIEN

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Aaam Aashta (visions communes), l'idée révélée du Ramayana par Charles Fréger

Après s’être attardée six mois au Château des Ducs de Bretagne, cette série consacrée à l’Inde se pose sur les cimaises des Filles du Calvaire rue Chapon. Bonté divine : 90 clichés pour découvrir un panthéon en perpétuelle expansion, réunissant quelque 300 millions de figures, incarnées à l’occasion de performances rituelles et sacrées dans les temples, les théâtres et les rues. Et un livre chez Actes sud… 

« Je voulais que le titre puisse traduire le vertige que l’on peut ressentir à la vue de ces traditions. On observe la hardiesse de leurs formes, l’opulence des couleurs, leur outrance magistrale, l’adhésion qu’elles suscitent et on apprend simultanément que ces figurations sont l’œuvre de citoyens ordinaires, souvent issus de milieux pauvres, qui incarnent dans l’imaginaire collectif, le temps bref de la mascarade, des dieux. » - Charles Fréger

Charles FrégerGussadi #2, Gond Dipawali, Adilabad, Telangana, Série Aam Aastha, 2019-2022

Le projet photographique AAM AASTHA s’inscrivait dans le prolongement de recherches entamées par Charles Fréger sur les mascarades dans le monde, qui ont déjà permis la réalisation de plusieurs séries : Wilder Mann (depuis 2010), Yokainoshima (2013-2015) et Cimarron (2014-2018).

Intéressé par le Ramayana (épopée fondatrice de l’hindouisme, contenant des récits mythologiques et cosmogoniques) et ses interprétations dans différentes cultures d’Asie, Charles Fréger a entrepris en 2019 une série de voyages en Inde, pays dans lequel il avait déjà réalisé les projets Sikh Regiment of India (2010), Painted Elephants (2013) et School Chalo (2016).

C’est par le sud du pays (Karnataka, Kerala et Tamil Nadu) que l’artiste a amorcé son exploration des formes d’incarnations de divinités parfois très spectaculaires. Majoritairement hindous, ces danses sacrées et jeux théâtraux – Theyam, Katakali, Mudiyetu, Terukutu, etc. – se pratiquent au temple, au théâtre, au festival de rue. L’incarnation des dieux relève ici d’une organisation sociale stricte, au sein de laquelle certains individus, souvent issus des castes les plus défavorisées, se voient assigner ce rôle. Selon les États et leurs populations, les interprétations varient ; le photographe a ainsi sillonné plus d’une vingtaine d’États du pays pour rencontrer une diversité de figurations.

Charles Fréger, Mahavat & Heerawat, Gavri dance, Udaipur, Rajasthan, Série Aam Aastha, 2019-2022

Mais, comme d‘habitude avec Fréger, on l’adore pour cela : par les films, la télévision, les livres scolaires, les populations ont assimilé des formes dominantes de représentations hindouistes mais leur éloignement des grandes villes permet de faire perdurer une multiplicité d’interprétations : des traditions de masques sculptés, de totems, des formes de maquillage, des typologies de personnages propres à chaque région. Déjouant la hiérarchie sociale établie, l’incarnation des dieux révèle une organisation parallèle, codifiée, au sein de laquelle certains individus, souvent issus des castes les plus défavorisées, se voient assigner ce rôle sacré. Celui et celle qui jouent deviennent, par le costume, les incarnations réelles et temporelles du dieu : au changement d’apparence s’associe un changement de statut.

Charles FrégerCharkula Nritya, Mathura, Uttar Pradesh, Série Aam Aastha, 2019-2022

Charles Fréger pose toujours la question de savoir où commence la culture et où finit la religion : s’il existe un va et vient de l’une à l’autre - et surtout comment cela se passe par les incarnations diverses qu’il observe. A l’impossibilité de vivre sans croyance, il oppose la manifestation du comment cela sert de lien, de cause commune et de relations quand il faut un fonds commun pour ne pas s’entretuer ( quoique en Inde, en ce moment, le parti hindouiste au pouvoir embourbe gravement la population… ) Documentaire jamais menteur, encore une réussite. Et une efficace façon de lutter contre tous les intégrismes. CQFD !

La livre éponyme de 320 pages, publié de concert chez Actes Sud est co-signé Charles Fréger, Anuradha Roy et Catherine Clément. il est traduit par Myriam Bellehigue

Jean-Pierre Simard le 01/05/2023
Charles Fréger - Aaam Aashta - 3/05/2023

Galerie des Filles du Calvaire 21, rue Chapon 75003 Paris

Charles FrégerSakhi, Seraikella Chhau, Seraikella Kharsawan , Jharkhand, Série Aam Aastha, 2019-2022