Quand Rita cesse de fuir le mal, par Claro
Gaël Lépingle, à qui on doit un livre subtil sur l'Agent X27 de Sternberg ainsi qu'un beau livre sur Huy Gilles (avec Marcis Uzal), est de retour, cette fois accompagné d'une foudroyante/foudroyée icône: Rita Hayworth. "Sonnez trompettes et battez tambours, Mesdames et Messieurs, ici commence l'histoire glorieuse et lamentable d'une icône hollywoodienne archétypale entre toutes; grandeur et décadence, fait divers et conte de fée, les ingrédients y seront distribués avec une impressionnante exhaustivité"
Celle qui agonise sous la voix prophétique de Welles ou dépouille ses longs bras d'une peau dite superflue. Une femme violée battue, vendue, harcelée en laquelle l'auteur de cette monographie sentimentale a vu "une stratégie, presque une éthique", fasciné son manque d'assurance qu'elle sut subsumer en glamour triomphante. N'hésitant pas à citer Clément Rosset, Gaël Lépingle a sa façon bien à lui de disséquer sans blesser, d'épouser sans déchirer, de révéler sans trahir – et c'est sans doute parce que, d'emblée, la visagéité de Hayworth lui échappe, qu'il la suivit de film en film et a fini par écrire ce livre. Comme s'il voulait répondre à l'impossible question: de qui est-on le masque? Et n'est-ce pas nous, parfois, qui cachons ce masque
"Sonnez trompettes et battez tambours, Mesdames et Messieurs, ici commence l'histoire glorieuse et lamentable d'une icône hollywoodienne archétypale entre toutes; grandeur et décadence, fait divers et conte de fée, les ingrédients y seront distribués avec une impressionnante exhaustivité", s'amuse l'auteur au début de son ouvrage. Et le fait est que Lépingle joue le jeu: il déplie, comme on déplie l'éventail d'un jeu de cartes plein de reines de cœur transpercé et de valets de trèfles retors, la vie toute en fugues et sérénades de l'insaisissable Rita. Il joue le jeu et sait à la fois faire de ce jeu un récit hanté par d'inquiétants questionnements, un récit qui lui permet aussi de revisiter certains cinéastes – qu'en est-il de "l'érotisme cérébral" qui imprègne Arènes Sanglantes de Mamoulian? La persona Rita oscille entre séduction et provocation, selon un schème certes usé par la mâlitude, mais qu'elle a le don de rendre si dynamique qu'on ne saurait voir en elle un simple produit bipolaire du celluloïdal septième art. Energie pure versus mal être: là réside peut-être la possible indécence travaillée par Hayworth.
Publié par les Editions de l'Oil, Rita Hayworth, de l'indispensable Gaël Lépingle, est si richement illustré qu'on a presque l'impression de sortir d'une projo une fois le livre refermé. Et à propos de projo, on vous informe que l'auteur du livre est aussi cinéaste que vous pouvez voir ses derniers films, L'été nucléaire, ou le plus récent Des garçons de province (bande annonce ici).
Claro, le 20/02/2023
Quand Rita cesse de fuir le mal