Les Horizons magnétiques de Valentin Giuili à la question

Disponible en avant-première à Angoulême et sorti ce mois-ci, Horizons magnétiques de Valentin Giuili est avec Bettica Batenica de Romane Granger, les deux nouvelles productions des éditions Réalistes qui reviennent en force après une petite pause. Rencontre avec l’auteur.

Valentin, est-ce que tu peux nous expliquer la genese de Horizons magnétiques ? 

Valentin Giuili : Oui, c’est un livre que j’ai fait pendant ma dernière année d’étude aux Gobelins. Je faisais aussi un film à côté, ce qui m’a pas mal influencé, je pense. Ce que je ressentais personnellement à ce moment-là c’était la fin des études, et des questionnements sur où j’allais dans la vie, quel serait mon but dans ce monde, tout ça. J’ai un peu retranscrit ça en incarnant le personnage qui s’appelle Sarah, qui est dans un monde fantastique entre la fantasy et la science-fiction, et qui va errer d’un endroit à un autre en quête d’une vision qui lui annonce quelque chose, mais c’est très flou. Elle ne sait pas exactement de quoi il s’agit ni ce qui va se passer. Chaque personnage qu’elle va rencontrer va lui apporter des clés ou des questionnements sur tout ça. Et puis il y a un peu d’action, et c’est rigolo (rire).

Je trouve qu’il y a un aspect carnet de voyage, comme si tu croquais quelque chose que tu voyais, sauf que c’est de l’imaginaire. Comment as-tu choisi les images et ce rendu-là ?

Valentin : C’est ce qu’on m’a dit, et c’est vrai que j’aime beaucoup les paysages, et j’aime beaucoup les paysages assez imaginaires avec parfois des architectures un peu étranges, tout ça. C’est des choses que j’aime bien retranscrire comme si je les voyais, comme si c’était des choses que j’expérimente moi-même, parce que dans un sens je les expérimente en les imaginant. C’était peut-être une espèce de carnet de voyage dans mon imaginaire. En plus le personnage principal traverse ces décors, je voulais qu’il y ait une petite forme d’émerveillement ou en tout cas de questionnement : qu’est-ce que c’est que toutes ces choses, qui ont l’air si différentes et pourtant si proches ? C’est ce que j’aime bien aussi quand je voyage, même en France. C’est la variété des environnements, on passe de trucs très urbains à la campagne, puis c’est la montagne d’un seul coup, etc. C’est quelque chose m’intéressait en termes de travail.

Tu pratiques le carnet d’observations ?

Valentin : Oui, c’est quelque chose que j’ai beaucoup fait, même si récemment j’ai eu moins le temps. Mais c’est quelque chose que j’aimerais continuer dans le futur, pourquoi pas avec un carnet de voyage d’un vrai voyage (rire), comme je l’avais fait plus jeune. J’aime les deux, mais pour l’instant ça m’intéresse plus de travailler sur l’imaginaire. 

Est-ce que tu avais une envie d’écriture surréaliste ? Tu as vraiment des figures qui sont propres au rêve, on reconnaît peut-être du Jérôme Bosch ou des choses comme ça dans tes planches ? 

Valentin : Oui, c’était vraiment à la base de mon processus. Sur l’écriture c’était assez libre, je me suis dit que j’allais essayer ça pour ce premier livre, et le prochain je ferai l’inverse, comme ça j’aurai le temps d’expérimenter les deux. Et cette fois-ci c’était assez libre, souvent c’était des idées qui en amenaient d’autres, par symbolique ou même juste parce qu’elles s’attiraient, et je trouvais ça intéressant. Quand tu parles de Bosch, un truc qui m’a beaucoup inspiré dans ses peintures c’est qu’il y a une retranscription d’un imaginaire qui a l’air un peu patchwork, mais qui fonctionne comme un tout. Il y a une forme de curiosité qui se crée autour de cette étrangeté un peu inquiétante, et c’est peut-être ce que j’aimais bien, le fait de créer une forme d’étrangeté. Même dans l’histoire. En tout cas c’est vrai que j’ai pas mal travaillé par association d’idées sur ce livre.

Charles Ameline [L’un des éditeurs de Réalistes, lire son interview ici] : Mais dans tes planches on sent beaucoup d’influences classiques, Bosch, Gustave Moreau, l’Enfer de Dante ? 

Valentin : Beaucoup d’influences classiques que je mélange à beaucoup d’autres choses, mais oui c’est vrai. Moi j’aimais bien aussi Claude Ponti, ça m’a vachement inspiré dans certaines formes. Même les Barbapapa en vrai ! (rire) En fait, ce que j’aime beaucoup chez Jérôme Bosch c’est ses architectures, je les trouve complètement incroyables. On sent qu’il créait à partir de ce qu’il voyait et de ce qu’il pouvait vivre au jour le jour, et que dans sa tête ça formait une espèce de mélange cohérent et en même temps incohérent.

Je vois dans ce premier boulot une grande attention au mouvement, à la vitesse, est-ce que c’est quelque chose que tu as travaillé particulièrement ou tu le fais naturellement ?

Valentin : Je pense que c’est quelque chose que j’ai beaucoup travaillé vu que je viens de l’animation, et qu’en animation on fait beaucoup ça. On travaille le mouvement donc on apprend à le décomposer, repérer ce qui va fonctionner et ce qui va moins fonctionner, etc. Après, c’est quand même des pratiques assez différentes du dessin plus illustratif. J’ai pas mal essayé de chercher ce que je pouvais en tirer pour créer des images qui aient l’air en mouvement et tout ça. Mais en fait même dans la bande dessinée maintenant j’ai l’impression qu’il y a pas mal d’auteurs qui se servent de décomposition de mouvement ou alors même de Smir, de mouvements qui déforment vachement. C’est un truc que j’avais envie d’essayer, et aussi d’écrire le mouvement par la déformation. Ça m’intéressait graphiquement.

Toujours sur ce côté graphique, tu fais des pages où tu passes de jeux d’ombre hyper épurés à des trucs hyper fouillés façon peinture chinoise. Comment tu doses ça ? 

Valentin : J’essayais d’imaginer un peu dans ma tête comment les planches allaient être les unes à côté des autres, et quand il y avait un moment où ça devenait trop chargé je me disais qu’il fallait essayer de le casser avec quelque chose de plus graphique. Parfois j’essayais même de ne pas mettre de détails partout et de laisser un vide. Bon il y a aussi des moments où c’est hyper chargé partout (rire). En tout cas ça m’a vachement amusé d’essayer de gérer les zones très noires. C’est un truc que j’aime beaucoup Yoshiharu Tsuge et chez Shigeru Mizuki, il y a un gros travail du détail, mais ils vont toujours laisser quelque chose qui permette la respiration. C’est ce que j’ai cherché.

Le choix du noir et blanc allait avec ton propos. Pourquoi ne pas avoir choisi la couleur ?

Valentin : D’abord par contrainte de temps. J’avais mon film à côté, et je me suis dit que si je faisais de la couleur ça allait être compliqué, que j’allais avoir du mal à tout faire. Donc je me suis dit que j’allais me concentrer sur le noir et blanc pour ce premier livre, et que je garderai la couleur pour le prochain. Ça m’a permis d’aller à fond dans le noir et blanc, de voir ce que je pouvais en tirer, et d’essayer de retranscrire des atmosphères. J’en suis très content, le propos se fait en nuance de gris et ça apporte quelque chose d’un peu sombre. Je trouve que ça convient bien au propos. Mais c’est vrai que ça s’est un peu fait par nécessité. Et puis quand on en a parlé on s’était dit que ce serait cool de faire un truc en noir et blanc, et franchement moi je suis j’y suis allé à fond (rire).

Ugo Bienvenu [L’un des éditeurs de Réalistes, lire son interview ici] : Par ailleurs on t’a découvert sur ton trait donc on s’était dit que ce serait cool que tu pousses ça au maximum.

Valentin : Oui c’était surtout sur mon trait qu’on avait discuté à la base et ça m’a permis de travailler là-dessus. 

Quels sont tes outils ?

Valentin : Sur cette bande dessinée, j’ai bossé à la plume et à l’encre, j’ai pas mal cassé de plumes (rire). J’ai dû changer pas mal, c’était un peu avec ce que je trouvais. J’ai aussi parfois travaillé au pinceau pour remplir, etc. C’est un truc que je faisais déjà quand j’étais petit donc c’était un peu un retour aux sources, c’était assez rigolo.

Le format de la collection est assez petit, tu travaillais en plus grand ? 

Valentin : Oui je travaillais en format A4. C’était un peu plus grand, et du coup on a dû pas mal travailler pour le retranscrire, mais ça marche super bien. Je suis content du résultat.

Charles : Par rapport à la méthode de travail, il faut savoir que Valentin fait juste quelques recherches et ensuite il va direct à l’encre. C’est important, pas juste parce que c’est impressionnant techniquement, mais aussi parce que ça va bien avec le côté un peu jazz, d’improvisation, des images qui lui viennent pendant le dessin.

Valentin : D’ailleurs il y a une case qui m’a permis de mettre pas mal de choses au clair. À un moment, il y a une rencontre avec une grand-mère, qui se trouve dans une espèce de phare-coquillage. C’est un dessin que j’ai fait immédiatement à l’encre, qui m’est venu assez naturellement, et qui m’a permis de me dire que j’aimais bien cette espèce d’étrangeté. J’avais envie de voir qui habiterait là-dedans, qu’est-ce qui s’y passerait, qu’est-ce qu’il y aurait à dire autour de tout ça. Donc parfois les images m’ont aidé à écrire, et parfois c’était plutôt l’inverse. Parfois ça venait par images successives.

Charles : En fait, on revient un peu au dessin automatique et au surréalisme.

Je me demandais justement si tu avais écrit intégralement ou pas (avant le dessin) ?

Valentin : J’avais des idées pour des endroits, mais je ne savais pas forcément comment les relier, et ce que j’allais dire exactement. Par contre, j’avais des images fortes qui venaient pour rythmer mon livre. Ça m’a permis d’écrire autour de ça, et aussi de structurer le récit, d’une certaine manière.

Est-ce que c’est très différent de ce que tu fais d’habitude ?

Valentin : C’est en même temps assez proche et assez différent de ce que je faisais avant. Au départ je ne m’étais même pas dit que j’allais faire beaucoup de hachures, c’est venu assez naturellement quand j’ai essayé de trouver d’autres choses. Du coup j’ai vachement appris en le faisant. Ce n’est pas forcément un truc que je vais refaire tout de suite, j’ai envie de faire de nouvelles choses. Mais oui dans un sens maintenant je le fais. En fait ce qui est drôle c’est que ça ressemble plus à des dessins que je faisais quand j’avais 14 ans et que je faisais plein de trucs à l’encre parce que j’étais fan de manga, et que j’avais appris un peu ça pendant des stages manga.

Charles : Il y a un truc que Valentin m’a dit à la fin, qui ne m’avait pas vraiment surpris :  il m’avait dit « moi en vrai je dessine pas des trucs particulièrement violents ou sombres », alors qu’en lisant le livre on a l’impression que c’est son identité. Il m’avait dit « nan, moi j’aime bien Claude Ponti, les trucs ronds, doux, etc. ». Là c’était peut-être lié à un contexte particulier, quand Valentin a écrit ça il y avait les confinements, des catastrophes naturelles, etc.

Valentin : C’est vrai que quand j’ai écrit le début de l’histoire j’étais à Symi en Grèce en face de la Turquie et toute la partie qu’on voyait de la Turquie a brûlé. Je me suis dit que c’était pas mal pour un théâtre un peu cauchemardesque, un voyage qui se termine un peu en apocalypse. J’aimais bien ce côté-là. Il y avait un aspect un peu fantastique à ce qu’on vivait, un démarrage de guerre un peu parsemé, ça donnait une ambiance palpable de tensions et ça m’a un peu suggéré ça. Mais du coup je crois que ça m’a donné envie de faire quelque chose de très doux la prochaine fois. Plus doux en tout cas.

Comment tu ressens la réception du livre à Angoulême pour ce premier album ?

Valentin : Pour l’instant j’ai surtout eu des retours de proches, de gens que je connaissais, et qui étaient plutôt positifs (rire), mais ma bande dessinée n’est même pas encore sortie (sauf en avant-première), elle sort le 3 février.
Par contre ici à Angoulême il y a des gens qui viennent et qui sont super intéressés, j’ai fait mes premières dédicaces, et ça fait quelque chose, c’était un sacré moment. Quand les gens la feuillettent, ça a l’air de leur plaire ! Mais pour l’instant je n’en sais pas plus, car ils ne l’ont pas lu.

Globalement c’est positif, je pense que même les éditeurs sont contents donc c’est cool. C’est aussi cool d’être ici, bien entouré, de dédicacer à plusieurs, etc. Il y a une vraie dynamique. Ce que j’aime bien c’est qu’on a des livres très différents, et pour le lecteur c’est intéressant d’avoir deux propositions très différentes dans la même édition et avec des sorties très proches. Voilà, je suis content en tout cas.

La discussion avec Ugo Bienvenu & Charles Ameline autour des éditions Réalistes
Et découvrez Horizons magnétiques

Thomas Mourier le 20/02/2023
Les Horizons magnétiques de Valentin Giuili à la question

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