Révolution T2 Égalité : coup pour coup, trait pour trait
Après le 1er volume, Fauve d’Or à Angoulême, qui couvrait les événements de 1789, Florent Grouazel et Younn Locard s’attaquent à l’année 1791 et ses événements moins connus, pour ajouter une brique à leur fresque révolutionnaire qui ne fait que commencer.
Un tome 2 qui annonce qu’il sera en 2 parties pour couvrir l’ensemble des événements liés à cette période de 1791-92 peut-être prendre le temps de développer un peu plus ses personnages après un premier volume concentré sur 1789 et ses événements clefs. Dans ce premier livre d’Égalité, les protagonistes ont repris leurs vies, et l’État se réorganise. On découvre aussi pour la première fois ce qui se passe hors de la capitale, dans les régions françaises grâce à Abel Kervélégan et dans les colonies grâce à Isabelle de Cabanel. Fidèles à leur idée de ne pas présenter les figures historiques comme des hommes & femmes providentiels, mais de les replacer dans leur contexte pour comprendre ; les auteurs ouvrent, avec ce nouveau volume, une partie historique inédite en bande dessinée.
La parole (et le focus) au peuple
Après l’introduction du premier volume, les auteurs mettent en avant ici un Paris plus varié entre les différents lieux de pouvoir parisiens ou les clubs de sociétés fraternelles dans les campagnes. Mais Égalité montre surtout la vie quotidienne des Parisiens, son économie avec ses travailleuses dans les usines ou ses machines nouvelles, jusqu’aux bêtes & champs qui ceinturent la capitale. Des foules sur les quais jusqu’au marché des Halles en passant par les cafés ou les maisons de plaisirs de la haute société, les personnages de ce deuxième volume nous ouvrent toutes les portes. Younn Locard & Florent Grouazel prolongent leur carnet de voyage à travers le temps, offrant des moments de vie et des instants suspendus pour nous faire ressentir l’ambiance de cette époque.
On retrouve Louise et Marie dont les rôles s’étoffent assez pour occuper une bonne partie du livre (et laisser présager un rôle bien plus important par la suite ; une idée qui nous traverse l’esprit quand on se rappelle que Marie, et son faux air de Kitaro, ouvre toute la saga dans le T1). Les frères Kervélégan sont toujours de la partie, Jérôme Laigret aussi, mais chacun révèle une face cachée qui complexifie un peu l’intrigue et leur donne un peu plus de corps vis-à-vis des personnages historiques.
Et si les événements clefs sont un peu moins connus que dans le volume précédent, à l’exception de la fuite de Louis XVI en famille et leur arrestation à Varennes ou encore la fusillade du Champ-de-Mars : l’album prolonge ses rapprochements entre cette époque et la nôtre. Une volonté des auteurs qui nous expliquaient, en interview, vouloir « mettre en évidence notre héritage. Révolution s’adresse aux lecteurs contemporains. Il s’agissait de réinterpréter, de réenchanter ce moment de l’émergence du peuple en politique, et de remettre les questions d’engagement, de démocratie et de justice soulevées alors à l’ordre du jour. »
Esquisses de la révolte
À travers le dessin, on sent toute l’importance de la documentation, des œuvres ou des recherches qui ont nourri cette fresque dans un rendu très précis mais qui reste de la fiction. Avec Révolution les auteurs font de cette documentation une matière vivante, prise sur le vif.
Tous deux scénaristes, tous deux dessinateurs, le tandem se partage les séquences et fusionnent leur dessin pour aboutir à un trait commun. Et après 600 pages, difficile de déterminer qui dessine quoi et on décèle quelques petits changements depuis Liberté où les deux auteurs s’autorisent ici des planches plus visuelles —en plus des doubles planches contemplatives qui viennent rythmer l’album. Des respirations graphiques où on savoure le temps qui passe et la vie des anonymes.
Le duo devient un trio pour cet album puisque la couleur est assurée par Joal Grange dans ce volume et vient apporter un peu plus de contrastes et de luminosité tout en restant dans le canon du premier opus. Une collaboration qui permet de mettre en avant les saisons, le temps qui passe, de travailler les lumières des scènes nocturnes,… Un apport bienvenu pour cet album qui fait la part belle aux grandes images et propose des passages plus contemplatifs.
Comme pour Liberté, Égalité — livre 1 est complété par une postface de spécialistes, et c’est l’historienne Dominique Godineau qui signe le texte. Elle est l’autrice de plusieurs textes sur la période dont Citoyennes tricoteuses : les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française qui a inspiré quelques très belles scènes aux auteurs dans la bande dessinée.
Un tome 2 aussi passionnant que le premier si ce n’est plus, qui prend le risque de s’éloigner encore un peu plus de la grande histoire et de ses figures classiques. Florent Grouazel et Younn Locard poursuivent leur envie de creuser cette matière historique habituellement confisquée par les puissants pour rendre aux anonymes, au peuple une place dans l’Histoire.
Thomas Mourier le 6/02/2023
Florent Grouazel & Younn Locard, couleurs de Joal Grange - Révolution T2 – Égalité - Actes Sud / L’An 2
Les ouvrages évoqués sont disponibles sur le site Bubble , ici même