Second Souffle, Frédéric Hojlo donne la parole aux maisons d’édition
Un livre d’entretiens qui revient sur 20 ans d’édition, en France, pour explorer la diversité et les parcours des maisons d’éditions alternatives à travers leurs visions, leurs expériences, leurs réussites ou difficultés et bien sûr leurs livres clefs.
Professeur d’histoire depuis une quinzaine d’années, journaliste spécialisé depuis 2016, Frédéric Hojlo a particulièrement scruté la bande dessinée indépendante et alternative dans ses articles publiés sur ActuaBD. Et s’il ne publie plus aujourd’hui sur ce média, il continue en indépendant et vient de sortir en librairie son premier livre Second Souffle chez Flblb.
Sous-titré bandes dessinées alternatives 2000-2020, ce livre présente un panorama de l’édition alternative “deuxième génération” qui a pris la suite des structures indépendantes comme L’Association, Cornélius, 6 pieds sous terre, Les Requins Marteaux… et qui ont à leur manière elles-aussi changées le paysage éditorial dans les décennies où les gros éditeurs ont eu aussi investi le champs de la bande dessinée alternative via des collections dédiées. Dans Second Souffle l’auteur interroge les éditeur.trice.s de 11 maisons d’édition pour en faire un bilan à date, en évoquer les albums clefs, les chiffres et les spécificités.
Pour bien présenter ce livre d’entretiens, quelle meilleure manière que de poser des questions à son auteur.
Est-ce que tu peux nous donner ta définition de la bande dessinée alternative ?
Frédéric Hojlo : « Second Souffle est parfois présenté comme un essai, mais c’est un livre d’entretiens avant tout. La partie essai est relativement réduite : j’ai rédigé une introduction et une conclusion —en plus de ces entretiens— dont les principaux objectifs sont de faire un rapide, très rapide, historique de la bande dessinée alternative. En essayant de donner des pistes de réflexion pour définir ou redéfinir la bande dessinée alternative actuelle.
Le plus gros du corps de l’ouvrage, ce sont les 11 entretiens avec des maisons d’édition. Avec des éditrices et des éditeurs de la génération qui a émergé à partir de la fin des années 1990 jusqu’à la fin des années 2010, sur une vingtaine d’années. Génération que j’appelle la génération du “second souffle”, qui suit et prolonge la génération précédente de la fin des années 1980, début des années 1990, qui s’est incarnée autour de L’Association, Cornélius, Les Requins Marteaux, Ego comme X, 6 pieds sous terre, etc.
C’est cette génération que j’ai souhaité interroger et mettre en avant. Une génération qui s’appuie sur la génération précédente, qui essaye d’aller encore plus loin dans la recherche graphique, dans la diversité des sujets, dans la place donnée aux autrices… Sans qu’il y ait de dimension de rejet ou de reniement par rapport à la génération précédente. Bien au contraire. L’idée est de s’appuyer sur leurs expériences, de profiter des brèches, voire des portes qui ont été ouvertes pour s’installer encore plus durablement dans le paysage éditorial et donner encore plus de possibilités aux artistes.
Ce livre est aussi bien un outil de découverte pour ceux qui ne connaîtraient pas forcément bien la bande dessinée alternative, que pour les gens qui connaissent déjà ce domaine. L’idée est de donner des clés et des pistes de lecture avec des petits bouts de bibliographie, en proposant aussi des chroniques sur quelques ouvrages —que j’ai choisis de façon assez subjective- mais qui donnent un bon aperçu des catalogues des différentes maisons d’édition. »
Après plusieurs années à écrire sur ce sujet dans un média, qu’est-ce qui t’a poussé à en faire un livre ?
Frédéric Hojlo : « J’ai toujours eu envie d’écrire sans m’y mettre vraiment. La rencontre avec ActuaBD m’a permis de concrétiser certaines choses, mais c’est surtout la rencontre avec les éditions Flblb qui a été déterminante. Je les connaissais via leurs livres —j’avais pas mal de contacts avec Hélène Richard qui s’occupe des relations presse— mais je les ai vraiment rencontrées à Angoulême avec les autres membres de l’équipe.
C’est une maison qui travaille énormément en collectif, et j’ai rencontré en particulier un des deux éditeurs, Grégory Jarry. Avec Thomas Dupuis —qui signe ses bandes dessinées sous le pseudo de Otto T.— ce sont les deux membres à avoir l’étiquette “éditeur”. C’est Grégory qui m’a proposé de faire un bouquin avec eux, une proposition très enthousiaste sans forcément avoir l’idée du livre au départ. C’est en échangeant nos points de vue, nos idées qu’on en est venu à monter ce projet de livre. On voulait redonner la parole aux éditeurs, parce que ça n’avait pas été fait depuis un bon moment. »
Comment tu sélectionnes les personnes/maisons interviewées parce qu’il y a un choix parmi toutes celles qui existent ? Tu avais une contrainte de pages ?
Frédéric Hojlo : « On ne s’est pas donné de contrainte de pages au départ, même si on s’est donné pour objectif d’avoir quelque chose d’assez large, sans être exhaustif. Ça n’était pas possible. On voulait garder un ouvrage relativement facile d’accès en termes de prix : c’est un livre à 15€ alors qu’il fait plus de deux cents pages. Et c’est un petit format avec une couverture souple, avec rabats, tout un tas de choix qui font qu’il est facile d’accès.
Il a fallu faire des choix dans les maisons d’édition interrogées. Il y en 11 au final : Atrabile pour les plus anciens, et Adverse pour les plus récents, avec tout un panel entre les deux.
Le choix s’est fait à la fois sur des critères objectifs et subjectifs. Je voulais vraiment mettre en avant cette génération en partant d’Atrabile qui est, pour moi, le chaînon entre la génération précédente et cette génération du “second souffle”. Ils sont un peu à cheval sur les deux, mais ils ont vraiment servi de courroie de transmission. Encore aujourd’hui, ils font partie de ces maisons d’édition qui s’appuient sur des auteurs très fidèles depuis leur création et, en même temps, n’hésitent pas à lancer de nouvelles autrices et nouveaux auteurs tous les ans. Ils prennent des risques.
Dans les critères objectifs, je voulais pouvoir donner des clés de lecture et donner accès à des livres relativement facilement. Je voulais aussi des maisons d’édition distribuées et diffusées de façon professionnelle. Et pas de maisons d’édition beaucoup plus petites ou de l’auto-édition, que je qualifie plutôt d’underground. Pas parce que je les juge moins pertinentes, ce n’est pas du tout une histoire de hiérarchie, mais plutôt pour l’accessibilité des ouvrages. Je voulais des maisons d’édition dont les ouvrages sont distribués en librairie et sur internet en passant par des canaux de distribution et de diffusion professionnels. Tout le monde peut y avoir accès facilement, ce qui est moins le cas pour les plus petites maisons d’édition qui passent par l’auto-diffusion.
Pour les critères plus subjectifs, je voulais aller vers des maisons d’édition qui me plaisent, qui ont un catalogue relativement fourni et qui sont maintenant reconnues dans le champ de l’édition de bande dessinée.
Un mélange de critères objectifs, en termes de chronologie, en termes de diffusion-distribution, et de critères subjectifs en fonction des maisons qui me plaisent. Même si je n’ai pas pu toutes les mettre, comme Vide Cocagne, Hécatombe et les Éditions de la Cerise qui ne se retrouvent pas dans le livre parce qu’il a fallu faire des coupes. Il y en a d’autres avec qui j’aurais bien échangé, mais elles étaient dans un moment un peu plus creux et avaient moins de parutions annuelles au moment où j’ai monté ce projet. Comme Arbitraire, Ici Même ou Même pas mal, qui sont un peu de cette génération-là aussi.
Avec Grégory, on avait hésité à ajouter quelque chose pour expliquer ces choix. Finalement, on ne l’a pas fait parce que ça reste mon point de vue sur cette génération —avec des choix qui sont délibérément subjectifs. Ce n’est pas un travail d’universitaire : je ne suis pas parti de statistiques ou d’une enquête approfondie. À la rigueur, mon souhait serait plutôt que mon travail soit repris par des universitaires dans le cadre de leurs recherches, parce qu’il y a des témoignages et des entretiens : ça peut servir de source. Mais je n’ai pas voulu aller dans la direction d’un travail pointu, très universitaire. Je voulais garder cette dimension subjective, mais aussi d’outils pour les lecteurs. »
Tu présentes 10 œuvres du catalogue en ouverture puis tu chroniques 3 titres : tu as opéré cette sélection avec les éditeurs, ton éditeur ou de manière subjective ?
Frédéric Hojlo : « Pour chaque chapitre, on trouve une intro avant un entretien. Et, à la fin, il y a trois chroniques sur des ouvrages qui m’ont bien plu, qui sont des jalons dans les catalogues des maisons d’édition. Et, à chaque fois, une petite biblio de dix titres.
Pour les chroniques, on en a discuté avec Grégory, même si au final je tranche. C’est un choix totalement subjectif, en fonction de mes goûts, de mes connaissances de chacune des maisons d’édition. Sur des maisons qui peuvent avoir une vingtaine d’années, j’ai essayé de piocher dans toute leur histoire pour ces 10 titres. Pour montrer que, dans leur catalogue, il y a différents types d’autrices et d’auteurs ainsi que différentes générations. J’ai voulu montrer tout ça, tout en conservant mon propre regard. »
Tu peux nous parler de la couverture et du choix de Guillaume Heurtault pour illustrer ce livre ?
Frédéric Hojlo : « On a beaucoup réfléchi au titre avec Grégory et après plusieurs versions on s’est arrêté sur Second Souffle : c’est ce qui a le plus inspiré Guillaume. Il a fait une proposition de quatre couvertures, les quatre étaient pas mal, dont deux très dynamiques.
On s’est rabattu sur celle qui était la plus proche de l’état d’esprit à la fois de l’ouvrage et des maisons d’édition : ces petits bonshommes qui courent et qui forment un tourbillon. C’est un peu le parcours des éditeurs qui courent partout pour arriver à joindre les deux bouts pour faire vivre leurs maisons d’édition. Mais aussi l’état d’esprit du livre avec l’envie de faire passer ce second souffle auprès des lecteurs.
Avec Guillaume et Grégory, on était sur la même longueur d’onde. Je dois dire que j’ai eu pas mal de bons retours sur cette couverture de la part de lecteurs ou d’observateurs —que j’ai transmis avec plaisir à Guillaume. J’aime bien cette couv’, aussi bien le dessin que les couleurs, ça fonctionne super bien et ça va bien avec l’intérieur. »
Le livre est sorti depuis un mois et demi, depuis tu as fait des rencontres et des dédicaces ? Comment est l’accueil du livre ?
Frédéric Hojlo : « Je n’ai pas encore trop eu le temps encore, il y a eu une rencontre à Formula Bula [Note du rédacteur : lire notre interview de son directeur artistique] où j’étais invité pour participer à une table ronde destinée aux professionnels. Pour un public de bibliothécaires et médiathécaires surtout ; une table ronde sur la bibliodiversité intitulée “la bibliodiversité est-elle un sport de combat ? ». J’étais en compagnie de Soizic Cadio, elle-même bibliothécaire, Martin Panchaud le Fauve d’or d’Angoulême le plus récent [voir notre interview ici autour de la Couleur des Choses] et son éditeur Serge Ewenczyk de la maison çà et là [interrogé dans Second Souffle]. Le retour était plutôt intéressant, on avait 60-70 personnes dans le public qui avaient l’air très attentives. Pas mal de personnes sont venues me voir sur le stand de Flblb pour discuter un peu, prendre des livres après cela…
On a dû tirer 1000-1200 exemplaires, mais l’objectif est que le livre soit perçu comme un outil pour transmettre, que ce soit directement pour les lecteurs ou pour les libraires et les bibliothécaires. Ça a l’air de plutôt bien marcher, on verra à moyen terme. Ce n’est pas un livre spécialement dans l’actualité : c’est un bouquin qui est fait pour avoir une durée de vie sur un temps plus long que d’autres ouvrages.
Le retour est plutôt positif, mais je ne peux pas en dire beaucoup plus pour l’instant. Je n’ai pas effectué d’autres rencontres, j’ai une dédicace à Paris bientôt, au Monte-en-l’air et je serais sûrement au SOBD avec FLBLB. »
Est-ce que tu as des prochains projets ?
Frédéric Hojlo : « Grégory aimerait qu’on fasse un autre livre ensemble. On n’en est pas encore là, mais il aimerait qu’on creuse un peu ce sillon, nouveau chez Flblb, pour continuer à parler de la bande dessinée et du monde de l’édition. C’est quelque chose qui est peu fait. On n’a pas signé de contrat, mais on a déjà eu des discussions là-dessus.
Peut-être redonner la parole à des éditeurs sur leur métier souvent mal perçu, parce que mal connu ou avec des idées reçues. Éditer de la bande dessinée ce n’est pas la même chose que la littérature ou la jeunesse, c’est très spécifique.
J’ai d’autres projets autour de l’accompagnement éditorial de bandes dessinées avec d’autres maisons, mais il est encore un peu tôt pour en parler. Comme bénévole, je vais participer à un jury l’an prochain, pour un festival qui n’existe pas encore. Ce sera la première édition d’un festival qui s’appelle L’Affaire Tonnerresol —parce que ça à lieu à Tonnerre dans l’Yonne. J’ai été sollicité pour être président du jury qui va remettre un prix CurioSophie, un prix dédié aux nouvelles créations, pour une autrice ou un auteur dont ce sera le premier ouvrage.
J’espère pouvoir continuer un peu dans ce monde éditorial de la bande dessinée dans la mesure où le temps me le permet parce que je suis d’abord prof d’histoire et papa de deux petits garçons de 2 et 5 ans, et ma priorité va à tout ça. C’est ce qui me prend plus de temps, le reste c’est du bonus. »
Après cet entretien avec Frédéric Hojlo, il ne vous reste plus qu’à découvrir ceux des éditions Atrabile, L’Employé du moi, Flblb, The Hoochie Coochie, Matière, Misma, ça et là, 2024, Super Loto Éditions, Biscoto, Adverse proposés dans ce livre.
Thomas Mourier le 30/10/2023
Second Souffle de Frédéric Hojlo, Flblb
-> les liens renvoient sur le site Bubble où vous pouvez commander les ouvrages évoqués.