Tony Hymas instructeur d'envol avec ses forteresses volantes
Quand Jean Rochard, producteur artisanal, vous déclare qu’il a adoré Tony Hymas dès leur première rencontre en 1984, on comprend mieux l’importance du claviériste au sein du catalogue Nato. Le preuve en est avec la ressortie d’un album enregistré hier, en 1988, qui revient doublement accompagné de son disque miroir et d’un duo avec Catherine Delaunay. Par principe c’est hors registre. Par bonheur, c’est malicieux autant qu’aventureux.
Excusez du peu, vous voulez parler pop, jazz, rock, classique, contemporain ou même opéra… et vous vous retrouvez à chaque fois - mais à des époques différentes - le même Tony Hymas qui, quand il a l’idée de Flying Fortress ouvre le chant de tous les possibles en 1988 avec icelui. Pour ce faire, il a convoqué quelques-uns de ses compagnons de longues routes : le guitariste Hugh Burns (alors avec George Michael), le percussionniste Frank Ricotti (juste en rupture de séances de Tina Turner), la violoniste Lis Perry (du quatuor Arditti), les saxophonistes Stan Sulzmannn (entre deux jazz alors avec Paul McCartney) et le contrebassiste Chris Laurence et le saxophoniste, clarinettiste Tony Coe (membres de Coe-Hymas-Laurence) ainsi que la chanteuse Laura Davis rencontrée pour le disque de Terry Day Look at Me. Et, c’est un carton : le titre éponyme sera le générique de l'émission « Tutti tout ouïe » de Julien Delli Fiori, sur France Inter pendant plusieurs années). Le disque fera son chemin, moins comme une synthèse de moult expériences que comme une marche nourrie vers tant de nouvelles. Comme l'écrivait Serge Loupien dans Libération le 5 décembre 1988 : « Flying Fortress constitue l'exemple type de ce que pourrait (devrait?) être la musique de ces dix prochaines années : un creuset proprement inclassable. Rafraîchissant. »
C’est peu dire que Loupien avait du pif, puisque la musique qu’on écoute aujourd’hui, loin des faiseurs de soupe, va piocher au plus loin des carcans imposés et des refrains limités à 20 secondes pour Tik Tok. Tous ou presque ont compris que foin du genre, c’est dans le mix , dans l’inattendu, dans le bienvenu pas prévu que cela se jouait pour dire un certain aujourd’hui. On comprend mieux aussi les fixettes de Monsieur Jean dont lex pôles de production sont l’Electric Ladyland d’Hendrix et le Coltrane ( pochette bleue) chez Impulse - ce qui dénote un peu d’espace entre les hémisphères pour laisser passer la lumière.
Mais ce méfait allait-il rester sans suite quand on demandait à Hymas, il restait dubitatif jusqu’au moment où quelques idées commencèrent à prendre forme…
Et, alors que le disque continuait à inspirer jusqu’à Yelle avec son adaptation de « Pictures of departure » sous le titre « Mon beau chagrin » ; ce même titre trouve bonne place dans l'anthologie Uneven Paths: Deviant Pop From Europe 1980-1991. La réédition s'imposait alors tranquillement. L'idée trottante allant et venant d'une suite s'est de suite lovée et, de quelques « bonus », on est rapidement passé à un jumeau 33 ans plus tard nommé Back on the Fortress.
En 2020, rompre la solitude ! Tony Hymas est reparti d'idées d'époque faisant leur chemin au travers d'idées ultérieures et en compagnie de quelques rencontres marquantes. On y retrouve Hugh Burns et Stan Sulzmann, présents sur Flying Fortress ainsi que Catherine Delaunay, Terry Bozzio, Stokley Williams, Yelle, Anamaz, Hélène Labarrière, Caroline Goulding, François Corneloup, Marie Thollot, Elsa Birgé, Nathan Hanson, Léo Remke-Rochard, Peter Hennig, Jacky Molard, Jean-François Pauvros, Thomas Hymas, Paul Clarvis, Ginny David et Barney Bush, compagnon des voies indiennes qui nous a quittés le 18 septembre 2021, et dont c'est le dernier enregistrement. Avec toujurs l’idée de fouiller ailleurs, de trouver entre les registres et les modes pour balancer un nouvel ovni qui ressemble à plusieurs choses tout en gardant son unicité. Des mélanges aventureux du hip hop conçus ici autrement à des repères aussi cvlassiques que jazzy et ça fait plus que la blague, ça en écrit une autre, come nouveau versant du son Hymas. Ce qui nous importe.
Mais comme une expérience n’arrive jamais seule, Hymas a aussi enregistré No Borders avec Catherine Delaunay qu’il connaissait pour avoir participé à Thollot in Extenso et où les dezux s’étaient promis de se recroiser. No Borders est donc logiquement constitué de musiques marquées de toutes sortes de communes, signées par l’une ou l’autre, à la recherche de quelques ailleurs, d’aventures passées et à venir, de musique nécessaires, comme en attestent, jusqu’à l’apparition soudaine d’un air de Gala devenu signal des mouvements de rue, les titres perméables aux nouvelles du monde (« French streets in April 2023 », « Jusqu'au dernier souffle (quand la terre se soulève) », « Fight the might », « Jusqu'au dernier souffle (I can't breathe) »), l’obsession géographique « A severe case of angularity », ou la dédicace à Tony Coe (« Just lost touch with you »). Faire la nique aux frontières est un acte aussi simple que le voyage d’un loup. Une entente en plein bonheur. Et je remets le son !
Jean-Pierre Simard le 16/10/2023
Tony Hymas - Flying Fortress + Back to the Fortress - Nato
Catherine Delaunay + Tony Hymas - No Borders - Nato