L'intolérable du portnawak dans l'écriture - et ses enjeux

“Correcteurs et correctrices entre prestige et précarité”, un ouvrage militant précis et raisonné de Guillaume Goutte sur le sort des bonnes fées anonymes qui s’affairent pour que nos livres ne soient pas truffés de fautes, est une précieuse lecture pour saisir ce qui se joue, socialement et économiquement, sous la précarité toujours mieux organisée par certains types d’employeurs et de donneurs d’ordre, y compris dans les très emblématiques industries culturelles que sont une grande partie de la presse et de l’édition.

L’objectif de ce petit ouvrage est de faire le point sur les réalités du métier de correcteur au XXIe siècle, dans la presse et dans l’édition, et sur les enjeux dont l’activité syndicale doit se saisir pour permettre aux correcteurs de faire face et de rebondir. Car, objectivement, le métier n’a aucune raison de disparaître, même s’il est depuis longtemps l’un des laboratoires des nouvelles formes de travail qu’impose la restructuration capitaliste. De celles qui, aujourd’hui, s’affichent dans les rues avec les coursiers à vélo ou les VTC, mais qui gangrènent le métier de correcteur depuis déjà plus d’une décennie. En décrivant la situation des correctrices et correcteurs, c’est aussi le tableau social de l’édition et de la presse qui se dessine et qui vient considérablement écailler le vernis. Car derrière les discours sur l’éducation, l’émancipation et la culture, il y a une chaîne de production où la précarité s’est durablement installée.

Petit livre instructif et combatif publié en août 2021 chez Libertalia, « Correcteurs et correctrices » propose à la fois, à traits de plus en plus fins en approchant de l’époque contemporaine, une histoire du métier de la correction – qui, rappelons-le, n’est pas uniquement typographique et orthographique, loin s’en faut -, une mise en perspective des évolutions technologiques, techniques et sociales en cours (où la simple automatisation, ou mise en service d’intelligence artificielle, pèse en réalité de très peu de poids face aux réflexes économiques de la majorité des actionnaires et dirigeants des groupes de presse et d’édition), et enfin – et peut-être bien surtout, in fine – une méthodologie de lutte, juridique et sociale, contre les abus de précarité qui dévastent cette profession – comme d’autres, certes, mais de façon ici particulièrement emblématique, drapés dans un mélange détonant de fausses évidences, de nécessités imaginaires et de poids des (mauvaises) habitudes – pour un triste résultat sur lequel, hélas, Guillaume Goutte, par ailleurs secrétaire délégué des correcteurs au Syndicat du Livre CGT, n’a nul besoin de s’appesantir tant il est visible dans de trop nombreuses publications (même s’il prend soin de signaler attentivement les heureuses exceptions existantes), chaque année désormais. « Correcteurs et correctrices », minutieusement conduite et documentée, constitue une belle et triste démonstration, dans un secteur bien particulier mais hautement significatif, de la précarité organisée comme arme de fausses économies à moyen et long terme, de perte drastique de qualité, mal masquée par toutes sortes de changements d’indicateurs ou d’aveuglements plus ou moins volontaires, et de déréliction humaine et sociale soigneusement ignorée par les propriétaires et par leurs relais directs.

Aujourd’hui, la majorité des correctrices et correcteurs en activité sont des travailleurs payés à la tâche, à la pièce. Ce tâcheronnage, que d’aucuns pourraient croire d’un autre âge, s’exprime à travers divers statuts ou formes de rémunération, dans le cadre du salariat (statut de travailleur à domicile, rémunération à la pige, contrat de travail à durée déterminée) ou du travail prétendu indépendant (microentrepreneuriat, rémunération en droits d’auteur). Si les conséquences pour les correcteurs peuvent quelque peu différer d’une branche à l’autre, d’un statut à l’autre, la précarité est, en revanche, la règle pour tous. Car le paiement à la tâche, c’est d’abord l’assurance d’avoir des revenus qui fluctuent d’un mois à l’autre, d’une année à l’autre, sans grande visibilité, les charges de travail prévues pouvant être annulées ou reportées à tout moment. Au-delà des mois difficiles que cela entraîne inévitablement pour beaucoup, cette fluctuation de l’activité implique aussi bien souvent des modes et des rythmes de vie précaires, où l’on s’interdit de prendre des congés par peur de passer à côté d’un « plan travail », où l’on s’impose des journées ou des semaines de travail dépassant largement l’horaire maximal légal, parce que plusieurs employeurs donnent du travail en même temps et avec des délais similaires. À cette précarité économique s’ajoute aussi une précarité « administrative », car à une époque où l’on nous demande partout des garanties de stabilité financière, de revenus fixes – ici pour louer un logement, là pour obtenir un crédit -, être soumis au paiement à la tâche, ne pouvoir présenter que des fiches de paie où le montant du salaire fait le yo-yo, est un boulet que l’on traîne et qui nous handicape lourdement au quotidien.

Ce qui frappe, c’est la diversité des formes que prend ce tâcheronnage et qui lui a permis de s’imposer dans la plupart des secteurs d’intervention du métier de correcteur – édition, presse, communication -, et il est nécessaire de les disséquer pour prendre la mesure de l’ampleur de la précarisation quasi achevée de ce métier séculaire.

Hugues Charybde le 19/09/2022
Guillaume Goutte - Correcteurs et correctrices entre prestige et précarité- éditions Libertalia

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