L'époustouflante Moor Mother réinvente le son sur "Jazz Codes"
Depuis 2016 et son premier album, Moor Mother emploie les idiomes musicaux afro-américains pour en (re-)donner sa lecture, après avoir tout passé au mixer de sa sensibilité. Son concert à Sons d’Hiver avait été un des plus beaux qu’on ait pu voir, en compagnie de Saul Williams et d’un groupe qui devait faire une première partie, mais avait été invité à créer sur deux heures de folie. La suite : Jazz Codes…
Moor Mother construit la musique selon sa propre logique spatio-temporelle. La rappeuse, musicienne, poète et activiste (de son vrai nom Camae Ayewa) est une créatrice exceptionnellement libre, qui ne s'encombre pas des restrictions de forme ou de genre. Ses textes découplent les intersections noueuses des histoires personnelles et politiques, tandis que sa musique dérive à travers le bruit, le jazz, le rap, l'électronique et au-delà. Elle possède une capacité quasi mystique à arracher des idées à l'éther, où elles sont ensuite ouvertes et décodées.
Avec Jazz Codes, l'antenne artistique d'Ayewa capte des signaux particulièrement sereins. Ces 20 titres tentaculaires sont construits autour de la production d'Olof Melander, basé à Falmouth, et s'appuient sur un jazz lâche et texturé ainsi que sur un hip-hop contemporain plein d'âme. Des titres comme "April 7th", "Woody Shaw" et "Rap Jasm" utilisent des rythmes chauds, dignes de Dilla, qui, renforcés par le patchwork d'invités, font partie de la musique la plus accessible jamais publiée sous le nom de Moor Mother.
Cependant, le point de référence clé de l'album, tel qu'invoqué par Ayewa, est le free jazz. Elle cite l'approche non linéaire du temps de ce genre comme une influence sur les mètres déliés de la musique, ainsi que ses paroles qui s'intéressent aux échos glissants de l'histoire. La pièce maîtresse de l'album, "Meditation Rag", voit la poésie de libre association d'Ayewa associer des images d'États du Sud et de légendes du jazz à des "cris de justice" spectraux. Cette qualité hantologique ajoute une profondeur pointue à Jazz Codes, un album qui possède un véritable air de transcendance. Pensez à la fois à J.Dilla, Don Cherry et Moodyman. Le jazz d’aujourd’hui délivré par une femme, noire de surcroît, a de quoi faire flipper tous les conservateurs. On dira que c’est justement le but : affoler les compteurs, révéler la grandeur, pourrir les glandeurs. Grand !
Bill Calamar le 5/07/2022
Moor Mother - Jazz Codes - Anti
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