Il est opportun de se laisser décoiffer par l'identité (affirmée) de Yaya Bey
Si vous n’aimez pas les divas, passez de suite votre chemin. Si, par contre, les femmes à voix, à talent, et humour sont votre grand kiff, restez, vous allez gagner une nouvelle amie qui n’a ni sa langue dans sa poche ni le moral à zéro. Elle réussit l’exploit de vivre dans un monde de boyz en revendiquant sa féminité et ce que cela suppose… Les anglicistes apprécieront, les autres brancheront le traducteur. Top !
Le troisième projet complet de Yaya Bey est un exploit exceptionnel de narration, tant pour le terrain qu'il couvre que pour les profondeurs qu'il montre comme manquant dans le discours musical commercial. Stimulé par un tweet que Bey a vu et qui disait "Les femmes noires n'ont jamais vu un amour sain ou n'ont jamais été aimées de manière saine", Remember Your North Star va bien au-delà des sujets de l'amour et de la féminité noire qui ont inspiré ses débuts sombres. Au cœur des caricatures de l'identité de la performance, des relations familiales et du traumatisme de la pauvreté, il frôle la surface de conversations concurrentes qui n'ont pas encore eu l'espace nécessaire pour évoluer - ce que signifie être une fille par rapport à ce que signifie avoir un fils, être fauché tout en se sentant soi-même. À travers ces conflits se dessine une sorte de manifeste, appelant à l'amour de soi d'une manière qui permette de se soutenir mutuellement.
L'empreinte musicale de Bey couvre également de grandes étendues, tout en restant complètement concentrée. Des bangers R&B tels que "Big Daddy Ya" ("Je pourrais faire cette merde cool ici toute la journée") se fondent dans des ruminations space-jazz sur "Alright", opposées aux nuances ska dub de "Meet Me In Brooklyn" à "It Was Just A Dance". Bey est brisée sur " Nobody Knows ", masquant son traumatisme avec la phrase au visage de pierre " Nobody knows my troubles but me ", aussi défaite que résolue. Tout comme l'arrogance non filtrée du premier single "Keisha" constitue l'une des meilleures chansons pop de l'année, sous la peau de ses moments de vantardise ("Show me one thing that's been worth risking me") se cache la réalité de la situation contre laquelle Yaya Bey construit ses défenses. Capisce ?
Jean-Pierre Simard le 28/06/2022
Yaya Bey - Remember Your North Star - Big Dada