Tourne à gauche, tourne à droite, ça reste Fashion et ça pollue un max !
Là où tout n’est que luxe, calme et volupté ? Heu non, pas du tout, la mode est une des industries les plus polluantes de la planète. Et, à y regarder de plus près, Catherine Dauriac vous offre quelques recettes pour consommer plus équitable et moins polluant - puisque la morale et le climat ont fait en sorte que le roi ne soit jamais nu ( et la reine non plus… ) C’est Fashion paru chez Tana éditions, en collaboration avec Isabelle Brockman aux illustrations qui décoiffent, dans la collection Fake or Not.
Si d’un côté la collection Fake ou Not pose de nouveaux enjeux, elle tente par ailleurs de vous en donner un max en peu d’espace. Il y a eu Le Système de la mode de Roland Barthes pour en dire la mythologie, un défilé de mode au Festival d’Avignon début 80, intitulé “l’Odyssée de la mode” pour en marquer l’arrivée dans la Culture avec la proximité des créateurs dans tous les domaines artistiques, Gaultier avec les Rita, en pendant de Miyaké avec Bowie. Puis, la concentration et les rachats aidant, la mode s’est faite rachetée et les créateurs ont disparu des fêtes et des créateurs de tendance, avec leur petits cahiers, ont pompé l’esprit de la rue pour en faire du vite vu/vite vendu … Enfin, est arrivée Naomi Klein et son No Logo. Et le monde a radicalement changé dévoilant le marketing qui s’imposait avant le produit. Vingt ans plus tard, la mode même cheap reste un produit de luxe qui file dans l’inconnu de ce que l’on nous cache de ses méthodes autant de vente que de création. Et c’est justement le sujet de Fashion ( turn to left ! )
Activiste pour le climat, Catherine Dauriac est rédactrice en chef-adjointe aux impacts de la revue papier Hummade, dédiée au vêtement comme un fait social total, et autrice d'ouvrages sur les textiles. Elle est aussi présidente et coordinatrice nationale pour la France de l'ONG Fashion Revolution, qui milite pour un changement positif et radical dans l'industrie de la mode - d’où l’intérêt de cette publication en forme de scud.
Fake or not ?
Quoi ?
Fake or Not scrute nos modes de consommation, donne une boîte à outils qui aiguise l'esprit critique et décrypte les enjeux environnementaux qui font débat : énergie, alimentation, décroissance, climat, déchets...Comment ?
Fake or Not donne la parole aux experts, aux chercheurs, aux scientifiques qui analysent et décodent chaque sujet en s'appuyant sur des données et des chiffres vérifiés.Pourquoi ?
Pour partager ce qu'on sait de l'état réel du monde, déconstruire les idées reçues et lutter contre les fake news. Une collection pour penser l'avenir de nos démocraties, agir à son échelle et s'engager pour un futur désirable.
Fashion
Nous achetons de plus en plus de vêtements. Nos armoires débordent, alors que nous ne portons qu'un tiers de notre vestiaire. Nous sommes affamés de nouveauté, de style, de fringues. Sur Internet, nous n'avons jamais autant commandé.
Pour produire 150 milliards de vêtements par an, la fast fashion transforme chaque jour 1 million de barils de pétrole en fils textiles. Des couturières à bas coût assemblent sans répit nos tee-shirts et nos pulls. Des produits chimiques interviennent à chaque étape. Des porte-conteneurs et des camions parcourent des dizaines de milliers de kilomètres...
Nous jetons nos fringues à la même vitesse que nous les achetons...
Alors, n'est-il pas temps de renouer avec l'élégance de la sobriété, d'acheter moins, mais surtout d'acheter mieux ? Catherine Dauriac, experte et militante pour une mode durable, nous alerte sur les ravages que cette industrie inflige à la planète.
Il y a neuf ans, le Rana Plaza s’effondrait, jetant une lumière crue sur l’industrie de la mode. Près d’une décennie plus tard, constatez-vous une progression des droits humains et environnementaux dans l’habillement ?
Le Rana Plaza est la plus grande catastrophe de l’industrie textile depuis deux siècles. Plus de 1 100 ouvrières sont mortes alors qu’elles travaillaient pour de grandes marques de mode. Cela a été un véritable électrochoc pour la communauté internationale. D’un point de vue réglementaire, la situation a évolué. On a eu l’accord Bangladesh ou encore le devoir de vigilance, qui oblige les multinationales à prévenir les risques sociaux et environnementaux sur toute leur chaîne de valeur. Plus récemment, la France a adopté la loi AGEC, interdisant la destruction de toutes les denrées non alimentaires, dont les vêtements. C’est une avancée considérable alors que les marques brûlaient jusqu’ici leurs invendus, même si la loi est limitée à la France.
Reste qu’à l’autre bout de la chaîne, les travailleurs et travailleuses sont toujours sous-payés. En Asie, les ouvrières du textile gagnent en moyenne cinq dollars pour une journée de travail de 12 heures. Leurs conditions progressent très peu et les consommateurs, eux, continuent d'acheter des vêtements à bas coût. Chaque jour, plus de 410 millions de vêtements sont produits alors qu'on a aujourd’hui produit assez de vêtements pour habiller la planète jusqu’en 2100 !
On observe pourtant une prise de conscience des consommateurs sur l’impact de l’industrie de la mode. Comment expliquez-vous cette dichotomie ?
C’est la force du marketing, de la publicité. Aujourd’hui, on ne peut plus ouvrir un réseau social sans être pris d’assaut. C’est la spécialité de SheIn, le pire du pire de la mode. Alors qu’on avait déjà des dérives avec la fast fashion, cette start-up chinoise va encore plus vite, c’est de la mode en direct. Il lui faut seulement trois jours entre le moment où le vêtement est fabriqué et l’envoi à la personne qui l’a commandé. C’est un système hyper-attractif pour les très jeunes générations qui ne se rendent pas compte de la toxicité de ce qu’ils achètent. En quelques clics, ils ont un t-shirt à deux euros et un jean à cinq qu’ils vont mettre trois fois et qui finira à la benne sans passer par les filières de recyclage. C’est désastreux.
Pour bien comprendre il faut savoir que l’on fabrique 150 milliards de vêtements par an dans le monde pour à peine 1,5 milliard d’individus dans les pays du Nord. Et ce système-là a un coût environnemental très important. Chaque jour, près d’un million de barils de pétrole sont transformés pour fabriquer des tissus synthétiques. On s’habille littéralement de pétrole.
Au-delà des collections "conscious" de H&M ou Zara, de plus en plus de marques éthiques se créent. Est-ce que c’est suffisant ?
La révolution est en marche. Notre index de transparence des marques montre que certaines font des efforts. Pour plaire aux consommateurs qui sont de plus en plus pointilleux sur la provenance des textiles ou la fabrication des vêtements, même les géants sont obligés de faire un effort s’ils veulent vendre. Alors on voit l'apparition de collections plus responsables mais il faut relativiser. Ce sont des collections capsules représentant à peine 2 % de leur production totale. Le textile est une industrie tellement puissante qu’on ne pourra pas avoir d’avancées rapides. On s’attaque à un symbole du capitalisme auquel on est accro. Notre civilisation a une addiction aux vêtements pire que celle du sucre.
Ce que je conseille, pour essayer de désintoxiquer est d’appliquer la méthode BISOU. Avant d’acheter un vêtement il faut se poser cinq questions : est-ce que j’en ai besoin, ce besoin est-il immédiat, n’ai-je pas un vêtement semblable dans mon armoire, d’où vient ce produit et est-il vraiment utile. Il faut avoir toujours en tête que l’on n’utilise seulement 30 % de notre garde-robe. On jette nos habits à la même vitesse qu’on les achète. Il faut sortir de ce système.
Propos recueillis par Marina Fabre Soundron @fabre_marina
Jean-Pierre Simard le 9/05/2022
Catherine Dauriac avec Isabelle Brockman - Fashion - Tana éditions